Attention, cette chronique est une réflexion sur le film, elle est à destination d'un public ayant découvert le film (ou le livre) et spoile en totalité son intrigue


Morse est un petit film, sorti en 2010 avec un buzz très favorable au vu des prix remportés à Gérardmer. Adapté d’un best seller répondant au nom de Laisse moi entrer (titre que reprendra littéralement le remake américain), le film a la particularité de s’attaquer au mythe vampirique sous un angle très respectueux des traditions, en y ajoutant le luxe d’une mise en scène avec des enfants (les personnages principaux étant des gamins de 12 ans). Ce qui était un pari risqué se transforme alors en l’un des films les plus attachants sur le genre vampirique.


Morse n’est pas un film parfait. Il souffre même d’un syndrome d’adaptation ciné assez facilement identifiable, vu qu’il y a fréquemment des scènes qui ont du mal à fonctionner, où le spectacle a l’air de partir dans une direction puis en fait non, ou alors il manque des clefs au spectateur pour qu’il comprenne pleinement ce qui est en train de se passer. D’où cette impression que si le film a gardé la trame principale, il pioche à droite et à gauche des détails sensés enrichir le récit, mais qu’il ne pousse pas jusqu’à leur terme. Morse a du mal à faire éclore certains aspects (l’un des meilleurs exemple doit être l’évolution de la relation entre Oskar et son père, qui passe d’un coup d’heureuses parties de glisse sur glace à des soirées silencieuses où un inconnu rejoint la table et où le dialogue s’interrompt devant un Oskar mortifié : on n’a aucun éléments pour comprendre, seulement le ressenti, juste, mais dans l’incompréhension).


C’est la même chose concernant la fameuse nature de Eli (ou plutôt le genre, pour être plus direct, qui semble alimenter une petite polémique qui n’a pas lieu d’être : seul le plan de la mutilation, fugace, l’illustre, et aucune explication quant à l’origine n’est formulée (il a fallu que j’aille lire des articles sur le livre pour apprendre pourquoi Eli est dans cet état)). Le film a balancé un ou deux détails, et ignore complètement le reste (aussi, la connotation gentiment homo n’a pas vraiment lieu d’être, l’ambiguité des phrases « si je n’étais pas une petite fille… » impliquant davantage sa nature vampirique avérée (et source du drame) que son homosexualité). Le film aurait pu développer, mais il a choisi de rester trouble, et n’a finalement pas exploité grand-chose. Mais si il se révèle hésitant dans les pistes à développer autour de son axe principal, la spontanéité des sentiments humains qu’il capte emporte tout. Mieux encore, il évite tous les pièges qui risquaient de miner son déroulement. Abandonnant la sexualité (récurrente chez les vampires, elle est ici évacuée en un dialogue sur le fait de sortir ensemble, qui de part son innocence, la place immédiatement hors contexte) pour lui privilégier le sentiment pur, limitant la violence physique au strict minimum (pas de gore, à l’exception d’un bras et d’une tête en flou arrière plan), respectant à la lettre les codes du genre vampirique sans se rendre lourd, Morse est une merveille de modernisation du mythe vampirique.


Et sa soif d’absolu dans la relation qu’il capte entre une victime rageuse et une créature meurtrière est d’une spontanéité qui touche immédiatement. On doit énormément aux deux acteurs enfants, tous deux excellents dans leur interprétation, et dont le rapprochement touche immédiatement le spectateur. Rarement le genre vampirique sera allé aussi loin dans l’intimité, aussi loin dans la sensibilité (et moins dans la sensualité, comme le fit si bien le délicieux Les prédateurs), trouvant dans le fantastique un absolu que tous les romantiques auront rêvé d’atteindre. Devant une telle soif de sentiments, la morale est immédiatement balayée, le quotidien s’estompe, seule compte la présence de l’autre. Enchaînant avec un rythme rapide ses différentes séquences clefs (l’histoire se résume ici à une ou deux petites semaines), le film fait constamment évoluer la relation, sans jamais en perdre la proximité. Dans ce quasi sans faute, seule la scène du pacte de sang fait tâche, trop frontale pour vraiment convaincre. Il aurait fallu davantage développer cette facette chez Oskar. Si son attirance pour la violence est parfaitement justifiée (victime des brimades incessantes de sa classe, ses envies de vengeances sont parfaitement captées et mises en scènes (la scène de l’arbre, tout le monde a vécu cela en se défoulant sur un objet), le mécanisme de violence est limpide), l’envie de vouloir blesser son amour fait un peu désordre. Le film s’accorde une certaine dose de cruauté enfantine (l’entrée dans l’appartement sans permission), mais cette scène sera toujours de trop. Reste que sur le reste, le film trouve un très juste équilibre, dans sa narration, sa manière de filmer et sa mise en scène. Malgré un final pas vraiment réaliste (partir sur les routes à 12 ans, vraiment ?), l’empathie sentimentale suscitée par le film emporte tout avec elle, et le cœur de spectateur avec, palpitant et brûlant. Malgré ses imperfections, probablement un des meilleurs représentants de son espèce…

Voracinéphile
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le 15 déc. 2015

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