Darren Aronofsky ou l'art de la demi-mesure

[Très longue critique et analyse personnelle]


Je suis allée voir Mother! au cinéma des Halles, dans la plus grande salle. En en sortant et en me dirigeant vers le métro, dans le dédale claustrophobique qu'est cette gare (un peu comme l'aspect labyrinthique de la maison dans le film), il y avait une foule pas possible qui allait dans le sens opposé et le film que je venais de voir n'a pas aidée à ne pas me sentir totalement oppressée par les autres... J'ai donc mis un peu de temps à me remettre de ces 2h00 d'angoisse.
J'avais également eu du mal à me remettre de Requiem for a Dream et Black Swan. Noé m'avait mise moins mal à l'aise mais l'angoisse était là (notamment à partir du moment où ils sont enfermés dans le bateau). Je n'ai pas vu tous les films du réalisateur mais Mother! semble être une sorte de résultat de ses précédents films, une sorte d'apothéose de sa filmographie, réunissant de nombreux thèmes anxiogènes (le couple, le mariage, être parent, la religion, la politique, le deuil ...).


[A partir de là, je spoile un petit peu]


Dès la première image, la première séquence, on est mal à l'aise. Tous les bruits sont exacerbés, pas seulement quand elle fait des crises d'angoisse (ce que je suppose être des crises d'angoisse en tous cas); la caméra est en mouvement constant, et très près des personnages, notamment "elle" (Jennifer Lawrence), et à chaque tournant on redoute un jump scare (il y en a d'ailleurs plusieurs). Mais c'est un peu le genre qui veut ça.
- Très vite on comprend qu'il y a quelque chose qui cloche : ce cristal étrange, cette maison au milieu de nulle part, et surtout, l'arrivée de ce couple sans gêne et ingrat qui chamboule l'univers paisible entrentenu par elle.
- Très vite, dès la première séquence où la maison se "reconstruit", on se doute que la maison va rebrûler et qu'il y aura un éternel recommencement.
- Très vite, on est dans l'empathie totale avec "La Mère" qui comme nous, ne comprend pas ce qu'il se passe, qui sont ces gens irrespectueux (et insupportables ! J'avais envie de les frapper à travers l'écran -oui je suis intense-), et pourquoi il y a autant de violence. On subit comme elle subit (bon peut être pas AUTANT) en étant impuissant, en ne pouvant rien changer. On est observateur de l'horreur qui se produit dans cette maison (comme on peut être impuissant face à la violence de l'humanité, des évènements qui nous entourent ?). Et à la fin, comme elle qui dit qu'elle n'a plus rien à donner, on est abattu par tout ce qu'on vient de vivre.
- Enfin, très vite aussi, on comprend que ce film n'était que métaphore et qu'il fallait le déchiffrer. Mais l'accumulation d'évènements improbables est épuisante et on se perd dans la recherche de signification; on ne sait plus trop ce qu'on regarde, on fronce les sourcils d'incompréhension face à cette apocalypse finale, parfois on rit nerveusement tellement les personnages sont horriblement dingues. Peut-être que du coup, Aronofsky a tellement voulu aller dans la métaphore que ça paraît prétentieux (d'où l'ironie sur la demi-mesure dans mon titre).


Je m'explique :


Les interprétations peuvent clairement être multiples (l'allégorie du mariage par exemple -wouhou ça donne envie-), mais pour ma part j'ai rapidement vu une allégorie religieuse (plutôt catholique) dans ce film. J'ai lu par la suite des propos de Jennifer Lawrence confirmant mon opinion. En même temps, ce n'est pas très très subtil. Dans une sorte de "paradis" ("la mère" emploie même ce mot à un moment), il y a un Créateur (Javier Bardem le Dieu, bien évidemment) et une Mère Nature (comme le dit Lawrence 1). Elle a "créé" sa maison, représentant la terre. Pour ma part j'y ai vu surtout la vierge Marie. Elle ne fait pas l'amour mais veut un enfant, qui lui apparaît un peu "par magie" (même s'il y a eu rapport sexuel, elle sent qu'elle est tombée enceinte comme si ça venait du ciel), et il représente un miracle : le miracle qui à la fois est censé sauver leur couple (pour elle) mais surtout inspirer le Créateur. Cet enfant va être adulé, puis tué, puis mangé par ces mêmes "croyants" (si l'enfant est Jésus, ils mangent le corps du Christ : très subtil). On voit aussi des sortes de prêtres qui prêchent la parole de "Him", et d'autres signes de culte sont visibles dans cette partie du film. Le fait qu'aucun de ces personnages n'ait de nom renforce leur aspect divin. Avant l'arrivée de l'enfant, un homme d'abord (Adam donc, joué par Ed Harris), puis une femme (Eve, jouée par Michelle Pfeiffer), viennent déjà semer le trouble dans leur jardin d'Eden. A partir de là, tout part en vrille et tous les maux, tous les vices humains viennent s'engouffrer sur cette terre. On passe d'une séance d'autographe à une scène de guerre avec des cadavres partout et des explosions. On pourrait dire que toute l'histoire de l'humanité se retrouve dans cette maison, et Mère Nature essaie de les repousser et de leur expliquer comment bien faire les choses, mais en vain. L'humain n'apprend pas.
Rien que ça.


On en vient donc au sujet qui fâche : ce complexe de Dieu qu'aurait tout artiste, Darren Aronofsky l'aurait peut-être aussi ? En élevant son film à un sujet si universel. Et en même temps, pourquoi pas ? Pourquoi pas partir d'un couple -à caractère universel-, qui se déchire et partir dans l'apocalypse biblique ? En fait, tout est possible, et tout est intéressant, d'autant plus que les acteurs sont époustouflants, notamment la montée en puissance progressive de Jennifer Lawrence.


Je ne peux pas dire que j'ai adoré parce que je supporte difficilement (de manière physique) les films d'horreurs (si il rentre dans cette catégorie), et les situations aussi violentes, mais Aronofsky a le don de parler de l'humain de manière certes inquiétante, mais aussi fascinante.


Bon j'ai plein d'autres choses à dire mais je m'arrête là.

helenepeyrou
8
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le 13 sept. 2017

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