Dites-moi, qu’attendez-vous vraiment d’une séance de cinéma ? Qu’êtes-vous prêts à accepter lors d’une projection et jusqu’où votre tolérance peut-elle aller ? Si vous espérez rester dans votre zone de confort, passez votre chemin puisque mother! ne laissera aucun spectateur indifférent.


Je ne saurais même pas par où commencer avec ce film. Je n’ai jamais vécu une séance pareille, et je n’en connaitrais jamais une similaire un jour. L’expérience qu’Aronofsky nous propose est suffocante. Je suis de nature robuste en général mais alors là, je ne m’étais pas préparé à une telle claque. La conséquence est que je me suis senti mal, très mal. A tel point que je cherchais de l’aide auprès de mon amie venue à la projection avec moi. mother! est, à l’image de sa ponctuation, un film enragé qui multiplie ses messages et ses métaphores, parfois insoutenables. Travaillant au cinéma, j’ai vu des spectateurs sortir de la salle choqués car cela devenait impossible pour eux de continuer une minute de plus le visionnage. Rien de ce qui avait été vendu du film ne peut un instant refléter ce qu’est réellement ce cri de rage d’Aronofsky.


Cette histoire d’home-invasion gagne tellement en intensité que le spectateur est forcé d'être témoin d’évènements qu’il ne peut, tout comme la mother, comprendre, ni contrôler. C’est l’une des choses qui pourrait expliquer cette étrange sensation durant la projection : les scènes s’amplifient encore et encore, devenant de plus en plus terrifiantes et nous ne pouvons rien y faire. A notre insu, ces scènes durent et dès cet instant, nous n’avons plus rien qui puisse nous sauver, ni même nous offrir une quelconque seconde de soulagement. Cette perte de contrôle est totale, comme si vous vous jetiez d’une falaise sans aucune sécurité possible. Vous allez vivre quelque chose de malaisant, de perturbant et de complètement incontrôlable. A mes yeux, le film est un chef d’œuvre à la beauté cruelle et flamboyante.


La mise en scène de Darren Aronofsky n’est pas anodine non plus. Nous voyons l’histoire à travers les yeux de la mother, aimante, généreuse avec ses invités mais plongée dans une incompréhension indescriptible. Avec une grande partie de plan serrés, une image granuleuse, le cinéaste fait régner l’insécurité dans ce huis clos et le film n’en est que plus étouffant. Les invasions sont rapides, de plus en plus chargées et elles changent le cours du récit. Par conséquent, mother! est un long métrage organique, féroce et impossible à anticiper. Notre perception des choses est parfois délicate mais en faisant un petit effort, le visionnage n’est que plus intense. Je pourrais reprendre ce mot, intense, pour qualifier la performance de Jennifer Lawrence. Inattendue dans un tel rôle, c’est une prestation physique hallucinante qu’elle nous offre.


Attention, à partir de maintenant, la critique contiendra des spoilers pour comprendre le film, donc n'allez pas plus loin si vous ne voulez pas savoir !


Cependant, le film ne serait pas ce qu’il est sans ses allégories. Vous êtes perdu ? C’est compréhensible. Il peut être lu de différentes manières. La « mother » dont il est question, n’est pas une représentation des mères en général mais bel et bien de LA mère, notre mère à tous, la planète. Tout ce que vous pouvez voir est une sombre vision de l’humanité et les ravages qu’elle provoque jusqu’à ce que cette dernière n’ai plus rien à donner et déverse sa colère sur le monde. Comme le personnage de Michelle Pfeiffer le mentionne clairement, une mère donne, toujours et encore mais ce n’est jamais suffisant. Ici, les Hommes prennent, profite de la bienveillance de la mother jusqu’à l’épuisement. En partant de ce principe initial, Aronofsky se laisse aller en retraçant la Bible pour renforcer son récit.


La maison, le foyer de mother et de Lui (à savoir que les personnages n’ont pas de nom) peut être perçu comme l’idyllique jardin d’Eden. Intrigués par le couple formé par Ed Harris et Michelle Pfeiffer ? Ils ne sont nul autre qu’Adam et Eve. Regardez attentivement lorsque l’homme est dans les toilettes, on peut apercevoir une blessure sur son côté droite. Le lendemain matin, la femme arrive comme par enchantement. C’est comme cela que naît la femme, à partir d’une des cotes d’Adam. Par la suite, ils pénètrent dans la pièce interdite par la mother et brisent le cristal de Lui, tout comme Eve qui mange le fruit défendu. Cette image de la Genèse se poursuit lorsque les fils du couple entrent en scène. Ces deux jeunes hommes s’entretuent et à ce moment, nous comprenons qu’il s’agit des enfants d’Adam et Eve, Abel et Cain. Toute la première partie du film s’achève ainsi par la première grosse invasion du film. La présence de ces inconnus dans un foyer ne rassure personne. Et lorsque l’on voit la séquence s’articuler comme elle le fait, on comprend à quel point le film se montre anxiogène.


Il se calme le temps que quelques passages mais ne vous méprenez pas, c’est uniquement pour repartir de plus belle et y aller encore plus fort. Derrière toute cette seconde partie il est question de fanatisme, d’obsession, de vénération envers Lui, qui peut être apparenté à Dieu lui-même. L’allusion aux Dix Commandements est fortement reconnaissable tant les fans du poète boivent ses paroles comme des paroles divines. Dans cette optique, la séquence à couper le souffle (littéralement) enchaîne la représentation des pêchés de l’Homme. Nous sommes pris de palpitations, de peur et d’un malaise grandissant à chaque seconde. Le chaos devient maître des lieux et nous ne pouvons rien y faire, incapable de réagir, nous subissons les images les unes après les autres. Le cœur de la mother s’assombrit tout au long du film et lorsque vient le climax du film, déchirant, semblable à l’Apocalypse, elle dévaste tout sur son passage. C’est assez difficile d’expliquer réellement toute la dimension du film mais sachez que tout n’est pas gratuit. C’est abominable et toute la tragédie qui entoure la mother m’a brisé le cœur. Toute cette fureur, cette rafale sensorielle choque volontairement et cela ne fait pas peur au cinéaste.


Courageux et audacieux, mother! est une fable alarmante d’un monde qui va mal, infester par la corruption et la destruction. Un talent de cinéaste incontestable et qu’il sorte un film de ce genre en 2017, il faut qu'il soit fou. Je félicite donc la Paramount, qui est quand même un studio massif et influent pour ce gros risque qui s'avère payant pour moi. Certes le film divisera les spectateurs mais pour moi, c’est un énorme coup de cœur pour chaque parcelle d’image, chaque seconde qui constitue mother! Ce n’est pas un film qui se regarde, c’est un film qui se vit intensément.


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JimmyJoubin
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le 20 sept. 2017

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