Difficile de décrire ce qu’on ressent devant Mother! Sans parler de ce qui s’y passe (et donc spoiler), difficile de décrire ce qu’on ressent devant Mother en ne parlant que de ce qui s’y passe, difficile de décrire ce qu’on ressent devant Mother en oubliant ce qui s’y passe.
Bref, c’est pas évident.


Déjà, parlons encore une fois de la promotion.
On nous matraque avec des bandes annonces et des affiches travaillées à extrême, et pour être certain de toucher les foules on inonde littéralement le paysage de publicités.
Pour quelqu’un qui surveille déjà un minimum les sorties ciné, l’attente a vite laissé place à la lassitude devant trop d’appels de phare.
Heureusement, la bande annonce restait énigmatique, et on pouvait penser que Michel Pfeiffer et et Ed Harris allaient prendre une bonne partie de la pellicule à eux deux.


Finalement elle est là la surprise: dans des rôles presque effacés de l'ensemble du casting au profit d’une seule.


Mother!, c’est la caméra qui poursuit une Jenifer Lawrence perdue dans une maison qu’elle voudrait rendre parfaite mais qui lui échappe quand son homme y laisse entrer des inconnus.
Jen est trop dévouée pour oser protester, et intériorise son malaise pendant que Javier fait les yeux doux à des étrangers.
Jen est petite au milieu d’une maison trop grande et aux murs trop neutres.
Elle a refait chaque pièce, mais elle en a fait une maison de catalogue, à son image de femme modèle - lisse et ennuyeuse. On comprend que Javier, auteur à ses heures, n’arrive pas à produire dans cet univers trop parfait.


Dans sa première partie, Mother! pourrait raconter l’histoire de n’importe qui (c’est bien pratique, les personnages n’ont pas de prénom), la maison serait l’image de la relation entre deux êtres: Jen voudrait à tout prix profiter d’un lien exclusif alors que Javier de son côté a besoin d’aller vers les autres pour créer: il a besoin de profiter du monde qui l’entoure, quitte à s’éloigner un peu de la relation sans nuage qu’on lui propose.
Plus que la relation d’un couple ou le rapport à la maison, Aronofsky arrive à donner corps à un sentiment classique, l'amertume qui point quand on a l’impression d’être trahi parce que l’autre ose parler à des étrangers.


“L’enfer c’est les autres” comme dirait un autre célèbre qui s’y connaissait en huis clos.
La panique de la femme qui se sent dépossédée de sa maison et de son Jules, fait échos au sentiment de vide qu’on peut ressentir quand on se rend compte que des personnes proches de nous le sont aussi d’autres personnes.
Sans parler de tromper qui que ce soit, c’est l'éternelle histoire de jalousie de cours d’école et d’amitié ou d'amour qu’on aimerait exclusive.
Jen voudrait que sa maison reste le cocon immaculé de sa relation, où son auteur de mari trouverait l’inspiration et où ils vivraient heureux éternellement, avec pour seul soucis de savoir de quelle couleur il faudrait choisir les rideaux...


Jusque là rien d’extraordinaire même si on est déjà un peu déstabilisé parce qu’à l’image de Jen, on est mal à l’aise devant l’invasion de son habitat et surtout devant le comportement de l’époux.
Javier est inquiétant.
On ne le connait pas, on ne le voit pas beaucoup, il a toujours un air gentil et rassurant.
Et pourtant il inquiète et il nous met mal à l’aise. cette ambivalence intrigue et nous fait croire que le film va nous révéler quelque chose, et on attend.


Dès le départ, ce qui perturbe dans Mother!, c’est le fait de ne pas pouvoir s’attacher à de vrais personnages: Jen est la plus humaine mais elle est trop lisse, Javier trop mystérieux, les nouveaux arrivants trop invasifs.
Rien ne semble réel, et pourtant tout est là et tout évoque des situations vécues.
Cette perte de repères renvoie à celle de l’héroïne et le spectateur se dit qu’il va falloir attendre un peu pour comprendre ce qui se cache derrière le crépis.
Cette impression qu’on court vers une révélation surnaturelle est entretenue par les plans qui nous font voir le cœur de la maison.


Encore aujourd’hui je n’arrive pas à les interpréter et je trouve qu’ils alourdissent inutilement le film.


Et puis il y a le tournant: quand l’oie blanche se révolte, elle réveille la passion créatrice de son auteur de mari.
C’est à ce moment là qu’on peut ré-interpréter le film:
Depuis le début, les références bibliques se multiplient, et quand on repense à l’ensemble c’est flagrant et manque sans doute de modestie, mais on peut aussi et surtout élargir (ou resserrer?) le sujet à la création en général et pas uniquement la création “originelle” et divine.


L’auteur se trouve seul face à sa page blanche, terne et vide comme une maison qui attend que l’inspiration permette d’emplir le décor de vie.
Jen est l’inspiration qui est là, qui met tout en oeuvre pour que l’artiste compose, mais lui préfère butiner, sortir, laisser son oeuvre en stand by.
Il se perd pour laisser à l’inspiration le soin de le rappeler à l’ordre: elle va le récupérer et libérer- enfin - la création.
L’auteur trouve alors l’énergie de donner la vie à son oeuvre.
Une réussite qu’il veut la partager avec son public, l’oeuvre peut être portée aux nues ou cassée par la critique, abimée, piétinée: à partir du moment où elle est exposée, elle n’appartient plus à son créateur.
L’inspiration pendant ce temps se morfond: elle est redevenue inutile, elle se sent trahie, elle se consume jusqu’à ce que l’auteur décide de retrouver la force de se lancer dans un nouveau projet.


En optant pour cette lecture plutôt que pour quelque chose de biblique, le film perd son côté boursouflé, et devient alors une sorte de miroir déformant par lequel le réalisateur nous montre le processus par lequel il estime devoir passer pour exprimer son art.


Le moins qu’on puisse dire c’est que voir Mother! N’est pas reposant: parce que le film nous crie depuis le début de sa campagne de promotion qu’il va être exigeant avec nous, qu’il va nous retourner le cerveau.
En vérité on aurait aimé garder la surprise et être réellement chamboulé.
Au lieu de ça on est intrigué, attentif, et au final un peu peunaud.
Parce que même en son sein le film comporte des maladresses, des constradictions, des lourdeurs qui nuisent à la pertinence du propos.
Même en ayant saisi une interprétation qui se tient, on est surtout dérangé par la prétention qui habite le film.


Déjà parce qu’il ne fait rien pour faciliter le travail du spectateur: au contraire c’est comme si chaque scène voulait crier à quel point ce qui se jouait devant nous était fondamental et nous invitait à crier au génie.
Oui, on peut reconnaître que la caméra et la photos montrent une belle maîtrise, et en font déjà un oeuvre intéressante.
Le scénario, la construction et la volonté de créer une oeuvre universelle rendent ce film unique au milieu d’une époque où la production s’articule trop souvent autour de suites et reboots.
Le spectateur ne ressort pas indemne de la salle: perturbé par le malaise distillé par le film, dérangé de n’avoir pas tout saisi, surpris de ce qu’il croit avoir compris, personne ne ressort indifférent à ce qu’il vient de voir.


Alors comment en vouloir à Aronofsky d’avoir tenté de nous réveiller? Comment ne pas aimer que pour une fois un film ne nous prenne pas pour des idiots mais nous laisse l’occasion de créer notre interprétation, de venir chercher ce qu’on veut dans un film qui fait exprès de n’apporter aucune solution?


Tous les éléments ont l’air réunis pour qu’on adule le film, et pourtant, on ne peut s’empêcher d’être groogie à la sortie, d’être sonné, déçu de ne pas être chamboulé, de ne pas penser que cette oeuvre va changer notre vie.
Certains passages apparaissent comme des excroissances maladroites, et on a du mal à aimer complètement ce qu’on a vu et éprouvé.
Etions-nous obligés de passer par la scène “du bébé” pour atteindre le paroxysme du malsain?
Devions-nous forcément être pris en otages si longtemps par un film qui aurait pu gagner en intensité s’il avait été épuré?


Mother! accompagne le spectateur quelques temps après être sorti de la salle et permet de débattre.
J’ai préféré occulter l’aspect religieux (pourtant omniprésent) pour ne voir que le parallèle avec l’artiste, et en évitant de penser que le réalisateur faisait le raccourcis entre lui et le Créateur.
Si on arrive à laisser ces aspects sur le côté, le film devient bien plus appréciable, sinon il semble prétentieux.
N'empêche que même comme ça j'ai beaucoup de mal à le voir autrement que comme une expérience.

iori
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le 24 sept. 2017

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iori

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