Mother ! fait trembler la sphère critique depuis quelques jours, et pour cause : le dernier film de Darren Aronofsky mets le spectateur en apnée deux heures durant, sans laisser passer la moindre molécule d'air, dans ce qui se révèle certainement comme son exercice le plus exigeant - ce qui ne veut pas nécessairement dire son plus subtil. Ce qui ne plaira clairement pas à tout le monde.
Mother ! est un film sous le signe de la haute tension, du malaise insondable. Sans doute à travers le parti pris visuel d'Aronofsky qui d'une part contamine son dispositif par le grain prononcé d'un 16mm brûlant. Mais il tend surtout à filmer sa nouvelle muse, Jennifer Lawrence, en plan rapproché constant, qui ferait passer la caméra derrière Natalie Portman dans Black Swan pour une ombre prudente. Le cadre virevolte autour de l'actrice, plus intéressé à capturer ses réactions, son regard hébété, ses cris stridents, laissant l'espace et l'action au second plan continu. En résulte un capital anxiogène incroyable, appuyé par l'environnement sonore évinçant la moindre musique off, pour se concentrer sur des détails saturés tels un grincement de porte, un bruit de pas, une goutte qui tombe, des objets caressés ou percutés... Le film transpire le motif de l'isolation par tous les pores de sa mise en scène.
Il faut dire que le contexte même du film sert à merveille ce choix de réalisation : car oui, quoi de plus terrifiant qu'un groupe d'inconnus pénétrant votre intimité, sans en connaître la raison ?... Aronofsky capture cette terreur et l'étend, encore et encore, jusqu'à l'horreur, jusqu'au malaise. Ce qui n'empêche en rien le cinéaste à également livrer quelques fulgurances visuelles, des visions de cauchemars plus étudiées, d'une beauté renversante, mais qui tendent à vendre la mèche bien trop tôt dans le métrage, titillant le mystère quitte à étouffer l'interrogation.
Mother ! dévoile alors prématurément son caractère hybride, qui ne nous épargne en majeure partie une petit ennui poli, rendant le mystère et la pression progressivement ordinaires... Et puis il y a le dernier acte qui débarque et lâche les chevaux, dont la rupture de ton, l'explosion de l'espace et de l'action se révèle vraiment étonnante, multipliant les radicalités pour métamorphoser le huis-clos en monde ouvert du chaos, reflet kaléidoscopique de notre monde. Émane alors un mille-feuilles d'interprétations, de la passion de la création au fanatisme religieux, en passant par les pulsions égoïstes de notre civilisation et notre propre subversion envers Mère Nature... Un monde allégorique s'ouvre à nous, rutilance de nos pires semblances.
Dommage que Darren Aronofsky manque de finesse - ce qui n'est peut-être pas un défaut en soit car l'effervescence semble volontaire. Mais son film frise par moments le grotesque, comme par peur de faire du dernier acte un trauma, ce qu'il méritait. Le déséquilibre se ressent également dans le traitement des personnages, figures sans nom qui ne cherchent jamais à éviter les stéréotypes - ce qui ne gâche en rien le plaisir de revoir sur grand écran Michelle Pfeiffer et Ed Harris. Tous baignent dans une peinture de l'artifice qui demeure sous influence permanente... Mais finalement, la nature même du film peut aussi nous pousser à interpréter ces "failles". Reste que la frontière entre le geste et la feinte est assez trouble.
Bien sûr que les références invoquées par Mother ! sont évidentes, mais ce serait bouder injustement la verve qu'a Aronofsky pour installer son identité propre, osant aller jusqu'au bout de son exercice, quitte à frôler l'enfer dans une dernière demi-heure pleine de rage et de poésie... Une fois l'écran délaissé par le générique, on se retrouve sur le carreau, trempé, le palpitant tout chose et la mâchoire désossée, prototype délicat du spectateur bousculé par une expérience décidément peu banale en salles obscures ces derniers temps.
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