Quand Antoine de Maximy rencontre Thomas Spencer Monson

Le très moyen Noé nous avait au moins laissé une certitude : Aronofsky s'interroge sur Dieu. Beaucoup. Et mother! (typographié comme ceci) s'inscrit dans la continuité logique de Noé. Métaphore du Premier Testament, de la souffrance de Mère Nature et de son viol par les humains proliférant, mother! se révèle bien plus abouti et réussi que Noé, mais ne se destine clairement pas à tout le monde.


Elle (Jennifer Lawrence) vit avec Lui (Javier Bardem - et oui, le L majuscule signifie quelque chose) dans leur belle grande demeure perdue dans une immense clairière. Cette maison, qui appartenait à Lui, a été partiellement détruite par un incendie il y a plusieurs années, et c'est elle qui a tout retapé. Qui a, comme Lui le dit, "ramené la vie dans la maison". Ils coulent des jours calmes, Lui essayant de retrouver son inspiration d'auteur, pendant qu'elle continue à repeindre les murs. Un jour, un homme sonne à la porte et Lui l'invite à rester dormir une nuit, ce qui n'est pas du goût de sa femme. Mais très vite, d'autres personnes s'invitent également.


Difficile de parler de ce film sans le spoiler, mais je vais faire de mon mieux.
Le film est un des plus oppressants que j'ai jamais vus. Ce huis-clos suit toujours Jennifer Lawrence dans des plans ultra serrés, enfermant les visages des personnages et les étouffant dans les bords du cadre. L'excellent traitement des sons, notamment l'écho des grincement quotidiens lors des migraines d'elle, et le placement de l'environnement sonore dans l'espace, participe à cette montée de l'angoisse.
Le film se découpe en deux moitiés, avec deux progressions très "aronofskiennes" de la tension. La première est plus conventionnelle, mais l'angoisse est palpable, notamment grâce au jeu absolument incroyable et parfait de Jennifer Lawrence. Le deuxième pic est beaucoup plus ahurissant, le film délaissant progressivement ce côté réaliste pour quelque chose d'autrement plus invraisemblable, anxiogène, frôlant dans son dénouement avec le fantastique. Le traitement du temps est alors "illogique" sans être incohérent. Tout s'accélère en l'espace d'une soirée, les événements se succèdent et l'on croirait que plusieurs mois s'écoulent en l'espace de quelques heures, ajoutant à la confusion du personnage. A son instar, le spectateur est alors complètement perdu, ne comprenant ni ce qui se passe, ni quand cela va bien pouvoir s'arrêter. Le film devient alors plus violent, parfois gore, plus angoissant, plus tout. Clairement, la deuxième moitié est une succession logique de la première, en version "hyperbolée". Et déplaira à certains.


C'est un point essentiel à comprendre : ce film est dur. Moi-même, je me suis dit, à une scène précise, "si la scène dure trop longtemps, il va falloir que je sorte". C'est un des films les plus hardcores qu'il m'a été donné de voir. Et j'ai vu A Serbian Film (si vous l'avez vu, vous savez de quoi je parle; si vous ne l'avez pas vu, ne le regardez pas, ça n'a aucun intérêt).
Je pense également, et je ne suis pas forcément quelqu'un d'élitiste, que pour apprécier ce film, il faut un petit bagage cinématographique. Si vous espérez un blockbuster lambda ou un film d'horreur moyen comme les studios les pondent par bourriches de 12, passez votre chemin.
Une certaine habitude de films originaux ou indé vous permettra de comprendre que ce n'est pas le scénario qu'il faut expliquer, lequel doit être pris comme il est, mais bien toute la métaphore et la signification qu'il y a derrière.


Car tout le film est une représentation du premier testament. Tout y est : Mère Nature, Dieu, Adam, Eve, Abel, Caïn, le jardin d'Eden, la pomme, le premier meurtre, Jésus, le corps et le sang du Christ, l'Apocalypse (ou le Déluge)... Par delà cette métaphore factuelle et visible, il y a également une métaphore du viol de la Terre par les humains. Jennifer Lawrence est vraiment la maison, qui représente le monde, dans lequel tous entrent et agissent sans gêne ni respect.


La signification embellit les images, qui ont alors un nouveau sens, une raison. La réalisation est au service d'un propos réfléchi, et n'est donc pas gratuite.


Alors oui, ce film est violent, dur, anxiogène, mais terriblement bien réalisé, monté, rythmé, intelligent et créatif. mother! m'a mis plusieurs gros gnons dans la face, c'était très difficile, mais j'en redemande. Pour peu que l'on puisse le supporter et le comprendre, il se révèle être un des meilleurs d'Aronofsky, et mon film préféré de l'année 2017. Un must-see.

QuentinYuanMalt
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Films et Top 5 de 2017

Créée

le 24 sept. 2017

Critique lue 345 fois

2 j'aime

Yuan Cloudheart

Écrit par

Critique lue 345 fois

2

D'autres avis sur Mother!

Mother!
Sergent_Pepper
2

Les arcanes du film d’horreur

Sur la table en acajou, l’écriteau « Attention verni frais ». Dans la corbeille, des cookies et du lait en brique, des pinceaux, de la Biafine, des cigares, un briquet, la Bible, un string vert et un...

le 8 déc. 2017

161 j'aime

27

Mother!
blacktide
7

Le monde, la chair et le diable

Il est parfois difficile de connaître son propre ressenti sur une œuvre. Non que l’avis soit une notion subjective qui ne s’impose véritablement à nous même que par le biais des émotions, mais que ce...

le 21 sept. 2017

138 j'aime

14

Mother!
Frenhofer
5

Les Ruines circulaires d'un Jardin aux sentiers qui bifurquent

Cinq baccarat Quand je mets cette note, ça na vaut pas 5: ça vaut à la fois 0 et 10. C'est la note parfaite pour ce film. Entendons-nous. Mother !, dernier né de Darren Aronovsky, est une oeuvre...

le 23 sept. 2017

133 j'aime

18

Du même critique

Alice: Otherlands
QuentinYuanMalt
2

Je me sens si mal d'écrire une telle critique...

Comprenons-nous bien : j'ai adoré Madness Returns. C'est un de mes jeux préférés de tous les temps, je l'ai fini plusieurs fois, j'ai presque voué un culte à ce jeu. Après Madness Returns, son...

le 2 nov. 2015

5 j'aime

4

Gone Girl
QuentinYuanMalt
9

Gorgone Girl

Je voulais vraiment le voir, ce film. J'ai proposé à des amis, dont un était sceptique. Je lui ai vendu ça: "C'est un David Fincher, ça peut pas être mauvais" Ce film nous présente l'histoire de...

le 15 nov. 2014

3 j'aime

Au poste !
QuentinYuanMalt
8

22 !

Après Réalité que j'avais vraiment adoré, Quentin Dupieux, probablement le réalisateur le plus créatif et barré du cinéma français, revient avec Au Poste ! Le commissaire Buron enquête sur la mort...

le 16 juil. 2018

2 j'aime

1