Le très moyen Noé nous avait au moins laissé une certitude : Aronofsky s'interroge sur Dieu. Beaucoup. Et mother! (typographié comme ceci) s'inscrit dans la continuité logique de Noé. Métaphore du Premier Testament, de la souffrance de Mère Nature et de son viol par les humains proliférant, mother! se révèle bien plus abouti et réussi que Noé, mais ne se destine clairement pas à tout le monde.
Elle (Jennifer Lawrence) vit avec Lui (Javier Bardem - et oui, le L majuscule signifie quelque chose) dans leur belle grande demeure perdue dans une immense clairière. Cette maison, qui appartenait à Lui, a été partiellement détruite par un incendie il y a plusieurs années, et c'est elle qui a tout retapé. Qui a, comme Lui le dit, "ramené la vie dans la maison". Ils coulent des jours calmes, Lui essayant de retrouver son inspiration d'auteur, pendant qu'elle continue à repeindre les murs. Un jour, un homme sonne à la porte et Lui l'invite à rester dormir une nuit, ce qui n'est pas du goût de sa femme. Mais très vite, d'autres personnes s'invitent également.
Difficile de parler de ce film sans le spoiler, mais je vais faire de mon mieux.
Le film est un des plus oppressants que j'ai jamais vus. Ce huis-clos suit toujours Jennifer Lawrence dans des plans ultra serrés, enfermant les visages des personnages et les étouffant dans les bords du cadre. L'excellent traitement des sons, notamment l'écho des grincement quotidiens lors des migraines d'elle, et le placement de l'environnement sonore dans l'espace, participe à cette montée de l'angoisse.
Le film se découpe en deux moitiés, avec deux progressions très "aronofskiennes" de la tension. La première est plus conventionnelle, mais l'angoisse est palpable, notamment grâce au jeu absolument incroyable et parfait de Jennifer Lawrence. Le deuxième pic est beaucoup plus ahurissant, le film délaissant progressivement ce côté réaliste pour quelque chose d'autrement plus invraisemblable, anxiogène, frôlant dans son dénouement avec le fantastique. Le traitement du temps est alors "illogique" sans être incohérent. Tout s'accélère en l'espace d'une soirée, les événements se succèdent et l'on croirait que plusieurs mois s'écoulent en l'espace de quelques heures, ajoutant à la confusion du personnage. A son instar, le spectateur est alors complètement perdu, ne comprenant ni ce qui se passe, ni quand cela va bien pouvoir s'arrêter. Le film devient alors plus violent, parfois gore, plus angoissant, plus tout. Clairement, la deuxième moitié est une succession logique de la première, en version "hyperbolée". Et déplaira à certains.
C'est un point essentiel à comprendre : ce film est dur. Moi-même, je me suis dit, à une scène précise, "si la scène dure trop longtemps, il va falloir que je sorte". C'est un des films les plus hardcores qu'il m'a été donné de voir. Et j'ai vu A Serbian Film (si vous l'avez vu, vous savez de quoi je parle; si vous ne l'avez pas vu, ne le regardez pas, ça n'a aucun intérêt).
Je pense également, et je ne suis pas forcément quelqu'un d'élitiste, que pour apprécier ce film, il faut un petit bagage cinématographique. Si vous espérez un blockbuster lambda ou un film d'horreur moyen comme les studios les pondent par bourriches de 12, passez votre chemin.
Une certaine habitude de films originaux ou indé vous permettra de comprendre que ce n'est pas le scénario qu'il faut expliquer, lequel doit être pris comme il est, mais bien toute la métaphore et la signification qu'il y a derrière.
Car tout le film est une représentation du premier testament. Tout y est : Mère Nature, Dieu, Adam, Eve, Abel, Caïn, le jardin d'Eden, la pomme, le premier meurtre, Jésus, le corps et le sang du Christ, l'Apocalypse (ou le Déluge)... Par delà cette métaphore factuelle et visible, il y a également une métaphore du viol de la Terre par les humains. Jennifer Lawrence est vraiment la maison, qui représente le monde, dans lequel tous entrent et agissent sans gêne ni respect.
La signification embellit les images, qui ont alors un nouveau sens, une raison. La réalisation est au service d'un propos réfléchi, et n'est donc pas gratuite.
Alors oui, ce film est violent, dur, anxiogène, mais terriblement bien réalisé, monté, rythmé, intelligent et créatif. mother! m'a mis plusieurs gros gnons dans la face, c'était très difficile, mais j'en redemande. Pour peu que l'on puisse le supporter et le comprendre, il se révèle être un des meilleurs d'Aronofsky, et mon film préféré de l'année 2017. Un must-see.