Le film s’ouvre et une mère danse, applique une chorégraphie qui semble répéter des gestes nourris par l’habitude et où l’improvisation s’enracine dans quelque chose de profond, dans une lassitude devant l’existence synonyme de persévérance. Car la danse, traduction de la joie de vivre, semble la seule échappatoire dans une Corée gangrenée par la lutte des classes et l’absurdité ambiante, où l’avocat s’intéresse davantage aux jeunes femmes et à la nourriture qu’à son affaire, où la police résout les enquêtes en puisant parmi les fous du village, ces êtres sans défense qui apparaissent comme les coupables parfaits, où une famille tente pourtant de survivre en dépit de son handicap : absence de père, fils unique et simple d’esprit, mère qui vit de bric et de broc.


On peut lire assez aisément la relation qui unit la mère – celle qui donne son nom au film – au fils comme une métaphore de la société coréenne et des liens qu’elle entretient avec ses enfants : soit la peinture d’un monde déraisonné et ségrégué qui propose un bonheur synonyme de combat quotidien et concessions morales. Tout le monde est coupable, même l’innocent qui n’a pas conscience de ce qu’il fait ; et cette contamination progressive du bien par le mal traverse tous les genres, de la comédie pure au thriller haletant, en passant par la méditation poétique – voir la veuve marcher parmi les champs bleutés ou contempler ses mains souillés par le crime – et le brûlot politique.


Mother est une œuvre monstrueuse qui s’éparpille pour mieux frapper fort et rassembler les facettes opposées et pourtant constitutives de la société coréenne sous la forme d’une pêche à l’indice où la réalité finira par rassembler ses pièces. Et contre la bêtise et l’injustice sociale, la danse est un remède à la portée de chacun. On recommence la gestuelle, on coordonne ses pas comme jadis on regroupait les tiges pour les couper. Alors on danse, et le monde vient à nous. Face au soleil couchant, dans un théâtre d’ombres.

Créée

le 24 déc. 2019

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