Mothra
6.5
Mothra

Film de Ishirô Honda (1961)

On découvre de ces merveilles pendant le confinement, déconfinement, confiture, déconfiture (1).
Je n'avais pas prévu d'écrire sur cette sympathique série B mythique du domaine du Kaiju Eiga (2) mais le fait de voir l'unique chronique de Sens Critique démolir le film comme un vulgaire nanar (ce qu'il n'est pas forcément non, je trouve et l'on va voir pourquoi) me penche à rétablir la balance en une critique largement plus positive ou disons, bienveillante.


Bienveillante parce qu'il ne faut pas non plus se leurrer : en l'état et comme pour beaucoup de films, le travail des ans a laissé une patine certaine sur Mothra. Est-ce que le film a vieilli depuis sa sortie, un 31 juillet 1961 dans les salles de l'archipel nippon ? Ah ben oui, un petit peu quand même, sans que cela n’entache en rien la magie et le charme qui en émane. Mieux, comment ne pas sourire comme un gamin quand on voit la forme finale de Mothra, grosse mite papillon qui ressemble à une gigantesque peluche qu'un technicien s'amuserait à faire planer au dessus des très chouettes maquettes de la ville ?


Tu m'étonnes qu'on puisse en faire un adorable jouet par la suite (3) !


C'est que le film demande à être vu avec le regard d'un môme ou d'un adulte qui aurait gardé son âme d'enfant, débarrassé de tout cynisme. En l'état, les maquettes de cette ville (dans un pays imaginaire mais voisin du Japon), des rues, des petites maisons, tout ça marche relativement bien et c'est même émerveillé qu'on se surprend parfois à s'extasier sur la minutie qui a donné lieu à la construction par exemple tiens, de cette gigantesque Tour Eiffel/antenne inspirée de celle qui trône à Tokyo (et qui est des mêmes couleurs, rouge et blanc (4)). Faut dire qu'on peut pas toujours se permettre de détruire le Japon, on l'a déjà fait avant avec Godzilla (1954) et Rodan (1956) donc bon il faut varier un peu. L'état des Rolisicans situé non loin de ses voisins japonais (Un clin d'oeil à la Corée ? D'accord mais alors peuplé d'occidentaux, une espèce d'Amérique idéalisée de poche, pont rouge de San Francisco en maquette bonus, c'est dire) fournira donc un parfait terrain de démolition pour notre chère mite géante sous sa forme larvaire comme ailée.


Sans surprise, Mothra, tout comme son pote Godzi, avec qui elle deviendra plus tard l'alliée, est le fruit des terribles radiations nucléaires qui ont traumatisé le Japon depuis 1945, on n'y coupera pas. C'est même la lecture la plus directe qu'on puisse faire, tout le monde le reconnaît sans mal. Mais le film le surlignera bien moins qu'avec le gros lézard et si Mothra détruit tout l'urbanisme humain de ses puissantes grosses ailes, c'est avant tout non par volonté de destruction mais pour rétablir l'équilibre naturel. En effet, tout allait pour le mieux dans l'île de l'infant : les indigènes vénéraient Mothra par de nombreuses prières, cette dernière étant endormie et paisible dans son œuf géant tel le poisson-rêve du jeu vidéo The Legend of Zelda - Link's Awakening (5) et les deux petites jumelles minuscules étaient naturellement les gardiennes ou prêtresses de son culte.


Et puis voilà l'humain qui apparaît avec ses gros sabots dégueulasses et pour 2,3 une certaine volonté très capitaliste de faire du profit avec tout ce qui sort un peu de l'ordinaire. Manichéisme primaire ? Un peu mais on ne demande pas non plus à ce genre de film de nous raconter le sens de la vie avec un gros œuf, laissons ça à Mamoru Oshii qui le fait très bien avec L'oeuf de l'ange par exemple. Bon toujours est-il qu'on sent la petite critique facile de l'impérialisme américain jamais loin pour s'enrichir au dépens du peuple japonais avec le personnage de Nelson, acteur japonais qui pourtant à une origine un peu américaine dans l'histoire (et parle anglais à de rares moments sans problèmes) et ne cache nullement sa visée de s'enrichir en kidnappant les jumelles (qui sont de vraies jumelles au passage) afin de les montrer en bête de foire (6).


Sur ce point Ishiro Honda délivre un bel hommage tenant à la fois de Freaks (1932) et de King Kong (1933) dans le fait d'exhiber ce qui est différent sous la forme du spectacle offert au regard concupiscent du public. Et ce faisant, en bon artisan il délivre des scènes qui ont de quoi faire rêver. La chanson des jumelles qui appellent dans leur détresse Mothra à se réveiller à plusieurs millier de kilomètres de là, tandis que le petit carrosse dorée où elles sont plane dans une nuit étoilée artificielle pour se poser sur uns scène supposément exotique et toute aussi artificielle avec de faux danseurs, c'est ça la magie du cinéma.


Même dans les scènes d'action ou pour nous emmener loin, Honda est très fort. Ce panier avec un bébé qui pleure sur un pont alors qu'une inondation magistrale arrive, c'est cliché mais pourtant encore aujourd'hui quand on replace dans le contexte d'une série B avec un modeste budget, ça passe crème. Ces avions qui ont l'ordre de bombarder Mothra ? Un mélange de stocks shots et de maquettes mais là aussi ça passe assez bien. C'est du système D, et c'est aussi ce qu'on demande au cinéma.


Quand à Mothra, évidemment, elle est invulnérable et indestructible aux balles, missiles, explosions mais c'est en soi lié à sa nature bénéfique de force inconnue née de la radioactivité (donc une énergie qui a l'époque fait encore un peu peur si l'on replace dans le contexte) comme de son statut ambigu de divinité naturelle qui rétablit l'ordre écologique lié à la petite île cachée qui l'a vue apparaître. Créature divine appelée et calmée par les prières et la musique (que cela vienne d'indigènes ou de l'homme dit civilisé), notre grosse mite volante ne pouvait dès lors apparaître et disparaître que sur les injonctions de la foi, qu'elle soit sincère ou justifiée par la peur d'une catastrophe impossible à contenir tout le long. Pas étonnant donc que la fin du film se reporte à des éléments vus au début (la croix et les éclairs autour), bouclant la boucle. Mothra pourra dès lors disparaître et renaître à chaque fois (chaque film?) puisque quelque part c'est dans l'ordre naturel des choses comme le printemps laisse place à l'été dans l'ordre des saisons.


Va, vole et deviens, Mite géante glorieuse !


==========


(1) Des termes ma foi que l'on peut accoler sans problème à la situation actuelle.
(2) Littéralement le genre du « film de monstres » japonais. Je vous renvoie à l'ami wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kaij%C5%AB
(3) Même qu'on en vend par chez nous. Si vous ne savez pas quoi offrir à vos mômes alors qu'en fait c'est pour jouer avec en cachette quand il seront couché (ne niez pas) : https://www.amazon.fr/Bandai-Godzilla-Monster-Mothra-Length/dp/B079RS6XTY
(4) Hop : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_Tokyo
(5) Avoue que tu ne l'as pas vu venir celle-là.
(6) Ce n'est donc pas étonnant du coup que le méchant se réfugie dans un pays qui est une sorte d'Amérique bis... et qui sera donc punie du coup par Mothra !

Nio_Lynes
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le 21 mai 2020

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Nio_Lynes

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