On peut dire qu’on l’aura attendu, ce dernier tour de piste de Daniel Craig. Après avoir annoncé déjà deux fois qu’il raccrochait le costar de l’agent secret le plus célèbre du MI6, on nous promet que cette fois-ci, c’est la der des der ! Et pour le coup, on nous propose un film riche en action, péripéties, humour et émotion ! Parce que oui, ce film est un véritable feu d’artifice qui commence dès la scène d’intro qui met la barre très haute : à travers une des séquences les plus complexes et développées en 25 films, notre très cher James se voit déjà passer par tout un éventail d’émotions et de cicatrice. La couleur est annoncée !


Et à partir de là, les montagnes russes ne cesseront qu’une fois le générique de fin déroulant sur l’écran. L’intrigue nous captive dès les premiers instants, déployant toute une toile de conspiration dans les cendres de l’organisation Spectre, tout en s’inscrivant peut-être un peu trop bien dans le contexte actuel (comme quoi, l’anticipation parfois). Ça sera sans doute l’un des aspects les plus ironiques du film, la façon dont l’histoire se rapproche parfois un peu trop bien de la réalité de notre société. Le reste sera dans l’ensemble assez classique, enfin de compte, parce qu’on se retrouve avec sans doute le plus gros point faible du film : un antagoniste (Safin) assez convenu et classique dans l’univers de Bond (sans parler de son prénom qui en devient presque ridicule), qui cherche à tuer un maximum de gens et dominer le monde pour se venger de son enfance traumatisante. D’ailleurs, s’il se montre aussi décevant, c’est surtout parce qu’il n’apparaît qu’après la première moitié du film, mais sa présence (et sa menace) se fait ressentir dès le départ, comme une figure de l’ombre insaisissable. De même, son « savant fou » et « homme de main » seront au final très banals dans ce qu’ils proposent.


Bref, rien de nouveau sous le soleil sous cet aspect, même si on peut admettre que les outils à sa disposition seront parmi les plus terrifiants qu’on ait pu voir. C’est amusant aussi de voir cette sorte de double intrigue qui induit Bond en erreur, faisant intervenir Spectre et donc Safin, avec au cœur de cette histoire la douce Madeleine, qui revient hanter Bond. Le film est étonnamment bien équilibré et rythmé, compte tenu de sa longueur et de son contenu, et on restera accroché jusqu’à la fin dans une intrigue dense et riche en action en toute sorte.


Que ce soit la mise en contexte en Jamaïque, l’escapade à Cuba et sa conclusion dramatique, le passage à Londres pour mettre les choses au clair et faire basculer définitivement l’histoire, et puis bien sûr la deuxième moitié du film entre la Norvège et la base de Safin.


C’est tout juste si on a le temps de respirer, tant la menace est pesante et agit sur plusieurs niveaux


(M comprend qu’il a merdé grave, les relations internationales s’en mêlent, les pistes disparaissent les unes après les autres pour faire ressurgir un passé traumatisant).


À cela, on peut ajouter de nombreux éléments qui dénotent des autres films Bond, mais marquent surtout un tournant dans l’approche du personnage. On a tout d’abord ce côté de presque auto-dérision de Bond lui-même qui, à travers plusieurs scène, se surprend de situations qui étaient devenues partie intégrante du trope et du personnage. Cela se sent par des petites touches d’humour cynique ici et là, ou un langage corporel :


la scène de rencontre avec Nomi et la dynamique entre les deux le reste du film, le personnage de Paloma (l’archétype de la James Bond Girl femme fatale, mais qui se révèle être une bleue surexcitée par sa première mission sur le terrain), le retour de Bond au bercail et la réaction des autres protagonistes, ou encore l’interrogatoire avec Blofeld.


Tout un tas de scène, de dialogues, de clin d’œil parsème le film et indique clairement non pas une prise de conscience, mais bien une façon d’assumer l’héritage du personnage.


Toutefois, c’est bien sur le plan émotionnel que Mourir peut attendre sera, étonnamment, le plus percutant. On sent une réelle volonté de conclure l’arc entamé avec Casino Royale est développé depuis. Cela se ressent dès la scène d’intro et se ressent jusqu’à l’ultime scène. Et ce qui est fort, c’est que non seulement Bond prend une place majeure dans le récit, mais pas forcément de la même façon que d’habitude. Ce sont bien ses motivations personnelles et son caractère qui le guident, plus que son devoir. Ce qui fait que s’il impose une certaine prestance, il laisse aussi la place aux autres d’exister. Sans oublier le cœur même de l’histoire, qui n’est autre que le cœur de Bond lui-même : le retour de Madeleine, chose assez unique dans l’histoire des James Bond Girl.


Sauf qu’ici, elle n’a pas tant ce type de rôle, comme elle avait pu l’avoir avant, mais bien un rôle à part entière. Certes, un peu de demoiselle en détresse, mais aussi celui de protagoniste avec son propre arc narratif à surmonter. Et comme Madeleine et James Bond sont aussi proches l’un de l’autre, forcément que ça enclenche le reste de l’histoire quand celle-ci termine son premier arc. Et plus tard avec bien sûr l’arrivée de


Mathilde,


qui bouleverse complètement les codes de la franchise jusqu’alors. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment l'équilibre au sein de l'intrigue change après son arrivée, apportant une touche de légèreté presque impromptue de la part de Bond, mais qui au final s’inscrit à merveille avec le personnage.


Dans l’ensemble, la dynamique romantique n’invente rien de nouveau et reste très convenu pour un film d’action, mais cette approche dénote de ce qu’on a pu voir dans le reste de la franchise. Et c’est ce qui donne au final cette saveur si particulière, parce qu’ils prennent le risque de pousser encore plus loin l’idée et de s’affranchir de la règle fondamentale d’un James Bond. Un règle qu’on pensait inviolable, et qui pourtant ils embrassent à bras le corps et l’assume jusqu’au bout. On le notera d’ailleurs avec cette ultime référence par la chanson du générique, qui est tout sauf anodine. C’est inattendu, surprenant, mais ça fonctionne. Ça laisse aussi une saveur particulière, puisque c’est un passage de témoin comme on n’en a encore jamais vraiment vu jusqu’à présent, une véritable fin.


Le casting est dans l’ensemble plutôt bon, même s’il n’est pas forcément exceptionnel. Léa Seydoux n’exprimera pas beaucoup de variété dans son rôle, mais aura l’opportunité de jouer de façon plus naturelle, moins « calculée » à la James Bond Girl. Ana de Armas apportera un petit coup de fraicheur avec son personnage assez amusant. Jeffrey Wright, Ralph Fiennes, Ben Whishaw et Naomie Harris restent assez fidèle à ce qu’ils avaient fait dans les films précédents ; de même que Christoph Waltz qui est pour le coup assez sobre.


Lashana Lynch est plutôt charismatique dans son rôle de Nomi, et j’ai beaucoup aimé la dynamique et l’équilibre qu’elle a avec Daniel Craig ; un peu comme s’il y avait de l’auto-référence, tout en proposant quelque chose de bien à elle. Rami Malek souffrira surtout d’un rôle trop petit pour lui, et restera donc dans son registre qui fonctionne toujours. Quant à Daniel Craig, il parviendra à surfer sur toutes les vagues par lequel son personnage passe, afin de lui donner son ultime incarnation et l’honneur qu’il mérite. Peut-être pas sa meilleure, mais sans doute celle avec le plus de prestance.


Sur le plan technique, le film fonctionnera, même si là aussi il n’est pas le meilleur à mon sens. La chanson-titre est plutôt sympa, mais à l’image du film, c’est plus une chanson sur la longueur, très romantique et surtout nostalgique. Elle fait écho avec celle du générique, qui n’est pas anodine comme je le disais, ça crée un effet de balance intéressant. Zimmer prend aussi les rênes de la musique, mais à l’image de Thomas Newman, s’il parvient à créer une ambiance qui s’inscrit bien dans l’univers et au film, il ne fera pas pour autant quelque chose de très marquant. On retrouve toutefois quelques réorchestrations bien sympas. J’ai beaucoup aimé aussi le travail fait sur le son dans certaines scènes.


La réalisation de Cary Joji Fukunaga sera parfois un peu inégale, avec pas mal de plans et de scènes magnifiques, notamment que ce soit lors des scènes d’action ou de poursuite, très fluide et en même temps retranscrivant tout l’impact et le côté épique ; mais plus classiques, voire peu inspirée sur les scènes plus banales ou personnelles. La photographie sera aussi un peu inégale, avec un jeu sur la lumière très sympa sur certaines scènes, et d’autres où ça semble fait un peu à la va vite, sans chercher plus loin. Les cascades seront toujours aussi spectaculaires et réalisées avec brio et les décors seront toujours aussi bondiens.


Bref, Mourir peut attendre aura été attendu et n’aura pas déçu. Peut-être pas le meilleur Bond de Craig, mais il sera largement au niveau de Casino Royale et de Spectre, avec une intrigue pleine de conspiration et d’action. La fin d’un cycle, sans aucun doute, mais qui parvient à rendre hommage à l’héritage du personnage et à ouvrir la voie pour sa succession, qu’on attend désormais avec impatience !

vive_le_ciné
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le 3 oct. 2021

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