Même sans être un familier de la patte de Jaco Van Dormael, le visionnage de Mr. Nobody et les grands axes de sa courte filmographie soulignent nettement ses thématiques fétiches : car en cultivant l’imaginaire autour de notions fortes telle que l’individualité et le destin, sous couvert d’un vernis fantasmagorique nullement feint, le cinéaste belge tient de la découverte bigarrée comme probante.
Tel le reflet d’une production internationale, le présent Mr. Nobody et sa tête d’affiche Jared Leto est un drôle d’objet-concept, doué d’un contenu des plus fouillis : trop peut-être, son versant « science-fiction » se voyant notamment dilué dans une trame insaisissable, son jusqu’au-boutisme fantasmé l’emportant sur tout le reste. De ce constat d’ensemble, il est d’ailleurs amusant d’en tirer des parallèles pouvant s’apparenter à de l’inspiration de bon aloi (encore que cela puisse tenir de la spéculation malvenue).
Cette fenêtre ouverte et champ infini des possibles qu’est la mémoire rappelle en effet Big Fish, tous deux partageant cette même passion pour la réécriture au service de l’imagerie pure, mais aussi Eternal Sunshine of the Spotless Mind quant à l’inextricable lien nouant sentiments et souvenirs dans un même creuset indescriptible. Si, à contrario de ces derniers, Mr. Nobody n’embrasse pas la même grâce formelle ni la maîtrise narrative, gageons toutefois qu’il compose une proposition de cinéma remuante : nonobstant ses prédispositions inégales, le récit de multi-vies de Nemo fascine, égare, interroge et tiraille.
De prime abord, le long-métrage est peut-être un chouïa trop long, le déséquilibre entre ses trois « trames » majeures et un goût certain pour les variations même infimes confortant cette impression : dans la droite lignée d’une Jean délaissée ou d’une Anna « magnifiée », ses partis-pris émergent distinctement à la faveur de marqueurs communs à tous ses parcours, choix et dilemmes. Avec pour finalité inéluctable turbulences et coups du sort en pagaille, Mr. Nobody fait ainsi mine de porter bien des fardeaux : l’étymologie même de son nom en dit de facto long sur son propos, l’identité de Nemo étant sujette à débat sur toute la ligne, ce dernier en incarnant d’ailleurs le principal agitateur.
Immergé dans le réel de quotidiens déformés en tous sens, le réflexe du spectateur serait d’en démêler le vrai du faux, néanmoins il s’agit d’une impasse : Mr. Nobody est certes volubile à l’excès, il est des plus évidents qu’aucun chemin n’est à exclure, tous demeurant valables comme il l’affirme si bien. Et si ses premières minutes sont confusantes au possible, Jaco Van Dormael ne s’embarrassant guère de mise en contexte, son intrigue nébuleuse va lentement mais sûrement nous happer dans ce joyeux capharnaüm : faute de solution unique, la formule √(2(parents) + femmes³) x aléas nous convie au sein d’une exploration endiablée et sans carcan, si ce n’est l'esprit de son propre narrateur taquin.
Le résultat est donc particulier, propice à la controverse et donc aux passions contraires : qui plus est doté d’une distribution faisant mouche et d’une plastique inventive, Mr. Nobody ne laisse pas indifférent, ce qui est déjà une sacrée réussite en soi.