Un véritable coup de cœur pour "Much Loved" et ses superbes actrices qui affrontent leur quotidien harassant avec courage et dignité. Une frontalité éprouvante qui n’empêche pas ce film d’être une ode à la femme arabe en général et marocaine en particulier et sait révéler sa poésie latente à qui aura la patience d'aller au bout du projet de Nabil Ayouch. Dans la veine sociale de sa filmographie, le marocain épie les tares de ses compatriotes avec une violente acuité mais n'oublie jamais que le rire est la politesse du désespoir. La prostitution, aussi crûment filmée nous apparaît elle, est nécessaire à l'introspection qu'il entend mener à bien. Aucune échappatoire ne nous est possible, le sexe et la drogue sont pleinement exposés à nos vues embarrassées et la domination masculine n'en est que plus révélatrice des maux qui gangrenne la société du Royaume. Tandis que les pétrodollars Saoudiens et la bureaucratie violent la plus intime parcelle du corps féminin, ces "Mater Dolorosa" affichent l'unité du groupe comme dernier rempart à l'hypocrisie ambiante. Ainsi en est-il de cette mère qui souffre de devoir rejeter sa fille sur les oui-dire de voisins moralisateurs mais ne peut se départir du peu d'estime qu'il lui reste de sa difficile condition de femme au foyer seule.


Voila bien l'essence qui tient debout ce Peuple, écartelé qu'il est entre la modernité de sa jeunesse désireuse d'un nouveau souffle et le conservatisme latent qui régit sa structure morale: la duplicité. Tenir un discours Étatique officiel censé incarner la voie de la Raison d'un coté pour mieux s'en écarter et suivre un chemin plus nébuleux. C'est cette dualité qui conduit ces filles de joie à devoir se cacher pour mieux exister et les obligent à n’être que des Batardes Chérifiennes. Pour facile qu'il puisse paraître au départ, le scénario balisé qui dépeignerait la vie de pauvres petites égarées obligées de recourir aux prestations tarifées bifurque dans son premier tiers vers un film de survie. Résistantes elle le sont, résistantes elles resteront. Giflées, humiliées, tabassées elles n'en restent pas moins solidaires et défient avec une inconscience folle L'Autorité Patriarcale, ce mal(e) Arabe qui se légitime en chef de tribu mais ne bande que par procuration devant des films pornos. Meurtries dans leurs chairs, elle restent de grandes gamines qui ne rêvent que de princes charmants et de vies ensoleillées.


Dans sa volonté d'englober le plus large panorama possible, il tente de traiter du mieux qu'il le peut l'homosexualité et fait un parallèle assez osé avec l'androgynie. La minorité, qu'elle quelle soit, n'est de fait pas acceptable pour une nation qui se réclame d'un Islam Fonctionnel, institué aux plus hautes sphères de L'Etat et concentré dans les mains du Guide Spirituel: Le Roi. C'est un message à ses compatriotes pour une plus grande tolérance et bien lui en prend, mais cette masse de revendication semble un peu trop surcharger le dossier. De même, il connait mieux que quiconque la grande disparité géographique de sa contrée et l'insinue subtilement en introduisant dans cette folle troupe Marakechoise une montagnarde. Sans éducation et dialectiquement à l'opposée de ses nouvelles sœurs de cœur, elle se fond dans le collectif pour mieux effacer sa différence. Ayouch n'ignore certainement pas que la réalité serait plus complexe mais n'en a cure car sa matière première est la fiction et son intention le conte rassembleur. La démarche n'en est que plus réussie. Plus que la crudité du langage et la violence des faits, le meilleur médium du réalisateur reste l'image. Il n'est qu'à voir ces longues prises de vue, de nuit comme de jour, sur les routes bondées puis vidées pour observer toute la disparité culturelle et sociétale d'un pays qui se cherche encore et toujours un destin commun. A voir absolument!

Sabri_Collignon
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le 29 sept. 2015

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