Ce qui fait la force de Much Loved, c'est que jamais il ne tombe dans le misérabilisme, le pathos, mais au contraire arrive à dresser le portrait de femmes - de surcroît prostitués dans un pays, on le sait, ultra conservateur (le Maroc) - en les montrant amples, belles, touchantes et attachantes. En ne les enfermant pas dans des archétypes de prostitués bafouées, soumises et misérables, faibles, cruches et écervelées, comme le montre parfois les pires clichés.
Bien sûr, l'univers que dépeint le réalisateur est d'une vulgarité sans nom, univers à paillette englouti dans un monde de nuit, sexe comme seul moyen de vivre, de parvenir à ses fins.


(Notons au passage que le réalisateur est un homme, et que c'est loin d'être anodin, comme le contraire aurait été exactement pareil : le regard porté sur le monde de la prostitution dans un pays comme le Maroc, n'est évidement pas le même qu'il vienne d'un homme ou d'une femme.)


Dans le contexte d'une prostitution dans un pays comme le Maroc, c'est d'autant plus poignant qu'elle trouve un autre sens, une autre raison de vivre, d'être : prétexte à aller au revers d'un conservatisme pur et dur. Désir d'épanouissement de la femme dans un pays où elle n'est pas libre d'être elle même, où du moins nullement libre de s'épanouir comme elle le désir. Au passage, je me questionne, et me permet donc d'insérer ici à là des tonnes de points d’interrogations : ???? (quatre pour vos beaux yeux). Mon interprétation est-elle juste, sachant que ces femmes n'ont pas vraiment d'autres possibilités pour nourrir leur famille ?


Afin de continuer sur ces fameux points d’interrogations :
La prostitution ici et là devient-elle un paradoxe à elle toute seule ? Accéder à la profonde vulgarité, soumission, tristesse d'un monde, pour accéder à la liberté d'être une femme "libre" ? C'est l'interprétation qu'on peut faire de ce film qui ne paie pas de mine, mais nécessaire, qui doit sa vie à un réalisateur censuré dans son pays. Il faut le faire, et le réalisateur, courageux et volubile, l'a fait. Chapeau bas.


Parfois le cinéma devient un acte politique. Un cri de rage pour dire ce qu'on pense du monde. Une mise à nu de son propre pays, Maroc hypocrite qui cache la noirceur de son âme dans ses recoins les plus profonds. Tabous dévoilés, secrets mis à nus, fracassés en milles morceaux. Alors le cinéma devient infiniment nécessaire. Témoins des mondes en loques, vies qu'on ne nous montrent pas, tabous les plus intimes.


Parce qu'on ne parle même pas de ces travestis drôles et touchants comme tout, de cette homosexualité en plus de la prostitution, qui demeurent dans l'ordre des choses, sans parti pris, sans jugement. Ainsi, le réalisateur lui-même le dit dans une interview : "Je crois que c'est le fait de montrer des femmes qui se prostituaient, et, surtout, de ne pas avoir choisi un angle misérabiliste qui a provoqué tout ça." (en parlant de la censure, du scandale au Maroc).


Le manque de parti pris, de jugement, faisant la force, le courage incommensurable d'un film, d'un réalisateur, de tout une équipe. Pfiou.


Le film de Nabil Ayouch est l'espoir d'un autre chose, le rêve qui peut-être deviendra réalité, la simplicité d'une vie qui jamais ne tombe dans l’apitoiement.
Ainsi est la force de Much Loved, qui porte en son titre un peu mièvre un infime paradoxe : Much Loved, trop d'amour. Trop d'amour oui, plutôt de la part du réalisateur pour ces femmes qu'il subliment, glorifient jusqu'à la moelle. Qui les filment belles comme la lune.


Parfois, comme ces femmes courageuses et fortes, insouciantes et volubiles, singularité qui vrille, rires qui ricochent, le cinéma est beau. D'une sincérité à couper le souffle. Et là où le film excelle, devient magique, surprenant, c'est lorsqu'il s'envole, abandonnant ses images parfois bien trop classiques, pour rendre la vulgarité, l'obscurité, sincères et poétiques, d'une affreuse poésie qui chavire. Musique qui s'envole, corps qui dansent, dans la nuit à paillette d'un monde engouffré en lui-même, sans qu'on s'y attente. Là où Much Loved surprend, c'est lorsqu'il arrive à rendre le vulgaire poétique, la laideur belle, l'obscurité devenue jour, rêve, magie. On pense alors à Spring Breaker, qui de part son évidente vulgarité, dégoût d'un monde englué dans sa propre laideur, perdition, le film de Korine devenait d'une ampleur sans précédent, poésie qui chavire, lyrisme qui s'envole. C'est ici la même chose pour Much Loved, hormis le fait que le film Nabil Ayouch ne possède pas cette même esthétique, reste au contraire enfermé dans une plasticité d'images qui se veut réaliste, sans ornement : lumière crue et blafarde, façon de filmer parfois maladroite, plans qui s'égarent, caméra qui tremblote légèrement.


Néanmoins, inconsciemment, dans le recoin le plus profond de notre cerveau, on s'attendait au pire : parce qu'un bon sujet ne fait pas un bon film. Parce qu'un sujet qui fait le buzz, culotté, courageux, franc, dangereux, à l'histoire que l'on sait (censure dans son pays), ne fait le plus souvent pas un bon film. Parce que tout est centré sur le scénario et le scénario seulement, et on en oublie la forme même du cinéma. On peut nommer bon nombre d'exemple. Tous ces biopics à la con qui arrivent comme des petits pains. A commencer par Imitation Games ou même Dheepan en fait, qui ne jure que par son scénario.


Finalement, après ce minuscule flippe d'un film supposé ne pas marcher, nous sortons de Much Loved pas déçu le moins du monde. Avec le cœur qui sourit, nous laissant sur la sublime bande-son du film et sur ce dernier plan : les quatre femmes sont là, assises sur le sable, aux côtés d'un homme qu'on suppose être leur macro, face au soleil couchant, sublime lumière chatoyante et l'espoir qui se tient droit, défigurant les vagues à l'horizon. Dernière image d'une carte postale, qui pourrait paraître cliché mais qui reste tout le contraire : la sincérité de ces femmes qui se perdent dans l'avant, habillées de vêtements marocains, ne sont pas ces femmes archétypes qu'on pouvait voir dans Spring Breaker, passant leur temps à se trémousser en maillot de bain, moulées dans leur nichons qui prennent toute la place. Ici, les quatre femmes se trémoussent avec leur cul pour le besoin de la chose, mais restent néanmoins d'une sincérité foudroyante, attachantes, touchantes, sublimes de tendresse.


Surprise d'un film d'une belle sincérité, qui fait chaud au cœur.

Lunette
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le 1 oct. 2015

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