Ça ne va pas fort entre les parents d’Ellis toujours à se disputer et même parler de divorce. Alors Ellis, 14 ans, en compagnie de son pote Neckbone, un orphelin débrouillard élevé par son oncle, préfère aller naviguer sur les eaux du Mississippi et rejoindre une île déserte au centre de laquelle un bateau juché sur un arbre à dix mètres de haut les attire et les fascine. L’embarcation n’est pourtant pas abandonnée puisqu’elle est le refuge d’un curieux homme qui se fait appeler Mud. Avec son serpent tatoué sur le bras, son revolver et sa chemise porte-bonheur, l’homme intrigue les deux garçons, encore plus quand il leur apprend son passé et qu’il est à cet endroit précisément pour retrouver son grand amour. Cette croyance presque surnaturelle et inédite en l’amour ébranle et subjugue Ellis qui a désespérément besoin de voir une relation entre adultes fonctionner sans cris ni heurts. Les deux garçons sont mis à contribution par Mud. Ils sont amenés à fréquenter de près ou de loin des adultes dont la complexité des destinées entremêlées les fait peu à peu quitter le territoire de l’enfance et de l’innocence. Le réalisateur de Take Shelter porte son ambitieux projet depuis de nombreuses années et cette longue gestation explique en grande partie la complexité du scénario qui s’arc-boute sur des histoires parallèles et des personnages secondaires. En harmonie avec le débit particulièrement lent du fleuve, le mouvement du film est ample, élégant et fluide. Cela n’empêche nullement la violence des sentiments et des passions qui s’exacerberont dans une demi-heure finale au cours de laquelle Jeff Nichols prouve qu’il n’est pas que le cinéaste de la contemplation.

Le grand fleuve américain charrie toute une mythologie construite par les principaux auteurs, au premier rang desquels on pense ici à Mark Twain ou William Faulkner. Véhicule naturel et séculaire des cultures et des destins personnels, le Mississippi devient pour Ellis et Neckbone le lieu privilégié d’un rite de passage, ce moment précis et inscrit à jamais dans la mémoire où l’on envisage et rejoint la condition d’homme associée inexorablement à l’apprentissage de la déception (les adultes peuvent mentir et tromper) et de la souffrance (le premier chagrin d’amour). Le passage laisse aussi entrevoir les horizons nouveaux et élargis du fleuve nourricier (la pêche des poissons ou des perles) s’ouvrant sur une embouchure sans limites, riche de possibilités. Classique et lyrique, la mise en scène croit en la force viscérale et organique d’une histoire puissante s’inscrivant aussi bien dans la magnificence paradisiaque et élégiaque du paysage que dans l’honneur informel d’un pacte étrange entre un adulte affabulateur et charmant et deux enfants en quête de repères et de sens. La figure du père – centrale dans la littérature et le cinéma des États-Unis – y est multiple. Absent, faible ou encore protecteur en accomplissant les sales besognes, le père réel ou remplacé n’est plus un idéal illusoire. Ellis est désormais prêt à aimer son père défaillant qui se débat avec ses propres ennuis de couple et lui communique une image négative et peu engageante de la femme, alors que Mud la transcende et l’encense en permanence.

Porté par son histoire complexe et haletante, la splendeur de son décor profondément photogénique et l’interprétation sans failles du charismatique Matthew McConaughey (Mud) et du bouleversant Tye Sheridan (Ellis), le film permet à son réalisateur de franchir une nouvelle étape dans son travail en accédant aux grands meneurs de récit épique et fondateur.
PatrickBraganti
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le 2 mai 2013

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