Ca pourrait commencer par Il était une fois, tant on est immédiatement plongé corps et âme dans une histoire qui se dévoile par petit bout, dans un mystère de paysage et de voyage.

Il était une fois dans le bayou, sur les rives du Mississippi, deux chevaliers au grand coeur enfourchant leur destrier pour s'échouer en une lande inconnue, peuplée de bêtes mortelles. Et ils découvrirent ici la tanière d'un ermite mélancolique qui les emmena dans l'aventure de leur vie.
En fait de chevaliers, il s'agit de deux jeunes ados aventureux aidant leurs familles (naturelle ou d'adoption, l'un étant orphelin et pris en charge par son oncle) à vivoter dans la moiteur des lieux.
En fait de destrier, c'est un bateau à moteur.
La lande inconnue est une île où sévit la nature anarchique s'épanouissant entre les bras d'un fleuve boueux.
Des bêtes mortelles, il se trouve qu'elles sont là, des mocassins d'eau à la morsure fatale occupant la cuvette que surplombe un pont de fortune, une menace sourde à laquelle a déjà goûté Mud, notre ermite mélancolique.
Brillante apparition du personnage hirsute et armé, souriant mais inquiétant, superstitieux, décalé, désoeuvré mais solide, apparemment calme mais qui opère une sortie de gonds lorsqu'on le dit clochard.
C'est simple, l'espace de quelques instants, dans cette atmosphère inquiétante, on se demande tout simplement si ce Mud débarqué d'on ne sait où ne va pas buter froidement les deux brebis égarées sur ses terres.
Mais il dit avoir simplement besoin d'aide, de bouffe pour l'instant.
Et les deux jeunes l'aident. Enfin, l'un d'entre eux surtout, le héros du film, l'autre succombant surtout à son amitié et à la transgression de la situation (il s'avère que Mud, qui garde un long moment son mystère, est un homme recherché par les forces de l'ordre et d'autres personnes douteuses, et qui se tient à l'écart pour une bonne raison).
Et ils feront tout, malgré le danger, pour l'aider à retrouver l'énigmatique Juniper.
Car il s'agit d'amour, de passion romantique qu'il faudra faire vivre contre vents et marées et contre les obstacles (et le conte revient... à l'exception qu'il n'y pas la moindre niaiserie là-dedans, mais une histoire poisseuse et violente comme l'est l'environnement qui l'a vue naître).

Quelle immersion formidable dans ce coeur jeune qui a encore toutes ses illusions et qui se confronte à tous ceux qui les perdent avec les années. On se sent l'âme adolescente d'aller nous aussi naviguer jusqu'à l'île, et d'aller donner une chance à un amour qui en manque cruellement. Le réalisateur donne une profondeur nouvelle à cet élan qui a pu nourrir des histoires aussi diverses que les films "Super 8", "Sleepers" ou encore "Stand by me". Il réinvente le rapport de l'enfant à l'adulte, choisissant habilement l'âge frontière qui conduit de l'un à l'autre, celui de l'éveil à la sexualité avec toujours un regard ingénu et le goût de l'aventure.
Ce qui donne, contrairement au précédent et magnifique "Take Shelter"du même réalisateur qui plongeait dans un pessimisme douloureux et maladif, un parfum de douce naïveté à cette nouvelle oeuvre, à hauteur du regard d'Ellis qui conserve son amitié romantique y compris lorsque la menace se fait implacable et que fusent les balles assassines.

Film misogyne, ou du moins peu flatteur pour ses caractères féminins ? J'avoue me l'être demandé à un instant du film, alors que s'opère la triple désillusion d'un triptyque de braves gars abandonnés par leur moitié je m'en foutiste.
Qu'on se rassure, les choses se nuancent bien vite. Les gars ne sont pas si braves, les femmes ont parfois des bonnes raisons, rien n'est jamais simple. Il s'agit davantage du regard d'hommes ou d'hommes en devenir qui, face aux difficultés, ne comprennent pas immédiatement leur compagne et sont tentés en premier lieu de n'y voir qu'un lâche abandon. Avant de pouvoir comprendre, l'un après l'autre...

Mud est une aventure qui prend place en un lieu et une époque où l'on n'aurait pas cru cela possible, c'est en cela qu'il est un conte moderne. Il raconte toute une galerie de personnages complexes qui ont perdu leur rêve, et qui ont soudain l'occasion de s'y raccrocher. Que feront-ils alors ?
Nichols fait à nouveau montre de son talent de réalisateur, et de filmeur. Et surnagent des moments exceptionnels, tels la découverte de l'île, une "cavalcade" effrénée vers les urgences, une prière collective absurde, un au-revoir de loin déchirant, une fusillade glaçante sur les eaux, une lumière illuminant dans les eaux une silhouette...
Un beau moment de cinéma.
Oneiro
8
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le 29 mai 2013

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Oneiro

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