Mulan
7.3
Mulan

Long-métrage d'animation de Barry Cook et Tony Bancroft (1998)

Comme souvent, les attentes se confrontent à la réalité. La fin de la décennie est particulièrement dure pour les Walt Disney Feature Animation qui voient leur cote décroître face à une concurrence perçante et une lassitude populaire. Le studio vit les dernières années de sa renaissance et n'arrive plus à régenter le territoire de l'animation comme il le voudrait depuis les déceptions ayant suivi Le Roi Lion et la révolution Toy Story. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé, encore faut-il aller au bout de ses ambitions.


Aucun dessin animé produit par la société durant les années 1990 n'a eu autant de mal à équilibrer les envies de prises de risques et les contraintes de livraison du produit. Sans parler de rendu schizophrène car nous restons tout de même dans une zone de sécurité bien déterminée, Mulan affirme difficilement sa volonté de bousculer les choses en alternant maladroitement entre film de guerre et comédie, un grand récit initiatique tente de s'extraire de ce mélange malhabile, et il y arrive, mais non sans inconvénients.


Les brins de légèreté ne sont pas dommageables tant qu'ils servent à creuser les rapports entre les personnages, à travers le cocon familial ou la fraternité militaire, mais posent problème quand ils cherchent à détourner le film de son vrai ton et viennent dénaturer ses fondements. Dans sa première partie, l'approche spirituelle qui se traduit dans l'art et les coutumes chinoises est pertinente, elle insuffle un poids certain aux décisions prises en fonction du respect des dogmes et des traditions, Mulan est déjà guidée par le grand dragon avant même de partir du foyer, voyant ses symboles l'entourer par le biais des idoles, des peintures et des armes, effet de réalisation qui atteint son sommet lors de la séquence où elle fait le choix de rejoindre l'armée, cherchant profondément le reflet qui lui indiquera sa voie et délaissant celui de l'eau pour se tourner vers celui de l'épée parentale.


Instant de solennité grave et noble qui voit tous ses efforts d'élévation ruinés par l'irruption du burlesque, les forces ancestrales veillant sur la pointe de leur lignage étant résumées à une bande de shnocks incapables d'en placer une sans s'engueuler. Le comble du ridicule vient avec Mushu, joué par Eddy Murphy sur qui Disney placent tous leurs espoirs pour réitérer l'exploit de Robin Williams dans Aladdin. Mais là où Williams collait à l'ambiance générale, Murphy nous en sort constamment, ne s'incorporant pas bien dans l'ensemble et souffrant du syndrôme de la star trop reconnaissable qui n'arrive pas à se glisser dans la peau du personnage, en dépit d'interventions isolément drôles.


Du gâchis en sachant que le dragon partait sur une base intéressante, étant tombé en disgrâce après avoir failli à la protection d'un aïeul, mais la sauce ne prend pas. La vraie relation importante qui complète le parcours de la chinoise est à rechercher chez son commandant, Shang, tout fraîchement promu capitaine et cherchant le même respect paternel pour honorer son ascendance. L'officier est au coeur de deux scènes-chocs, la découverte du camp incendié et Mulan démasquée, qui expriment remarquablement sa difficulté à étouffer ses sentiments et à rester fidèle au protocole.


Mulan tient d'ailleurs le film tout entier sur ses épaules, modèle d'écriture d'une vraie femme forte cachant tantôt sous son maquillage tantôt sous son armure une fragilité et une basse estime de soi. Ses actions paraissent irréfléchies tant elle ne songe jamais aux conséquences sur sa personne, seulement à celles sur les autres. Elle part à la guerre sans se demander si elle reviendra en vie, elle prend le risque de déclencher une avalanche sans penser à comment elle en sortira et elle fait route vers la cité impériale sans plan de secours et sans moyen de défense. Étant perdue, la jeune fille n'aura de cesse de chercher à comprendre comment s'aimer en se faisant d'abord aimer des autres. Le jeu sec de Ming-Na Wen et la grâce de l'animation contribuent à rendre le personnage extrêmement émouvant par son profond mal-être, la franche camaraderie qu'elle développera avec ses frères d'armes étant belle et sincère tandis que son acceptation d'être exécutée, une fois à visage découvert, fait vibrer.


À cela, quelle menace plus logique qu'un boucher sans coeur et sans âme pour s'opposer à l'héroïne. Chaque passage impliquant les Huns est une grande réussite, tant dans l'imagerie monumentale (la charge dans les montagnes, spectaculaire en terme de visuels et de son) que dans le sérieux avec lequel leurs apparitions sont traitées. Leur leader, Shan Yu, incarne parfaitement cette noirceur d'esprit, joué par un très bon Miguel Ferrer dont les cris de rage et la voix animale font prendre conscience de la machine à tuer en liberté. Le climax ne rend malheureusement pas justice à ces brutes épaisses, se réfugiant, à nouveau, derrière un humour hors-de-propos et un face-à-face décevant.


L'hésitation est la même concernant la partie musicale. Avec seulement 4 chansons en une heure et demi, Mulan semble longuement indécis sur ce qu'il doit être, arrivant à surprendre dès qu'un personnage se met à chanter. Sont à retenir néanmoins deux morceaux de choix, le très beau Reflection porté par la merveilleuse Lea Salonga, déjà interprète de Jasmine pour A Whole New World, et l'électrisant I'll Make a Man Out of You qui laisse défiler l'entraînement des soldats sur un montage dynamique et surexcitant. Mais le vrai feu sacré revient au compositeur de légende, Jerry Goldsmith, qui transcende le film de ses mélodies fabuleuses, unissant la douceur de Mulan, l'épique des combats, la sauvagerie des envahisseurs et la majesté de l'Empire du Milieu en une bande-originale cohérente et unique.


Summum de la frustration, l'épilogue qui, à l'image du long-métrage, joue sur deux tons. Le retour à la maison est magnifiquement exécuté, voyant la fugueuse revenir sur ses pas, objets de triomphe dans les mains, voix incertaine, air effrayé, soumise au jugement du père, bien plus apeurée d'affronter son regard noir qu'un millier d'assassins puis récompensée par une preuve d'affection qui lui permet de savoir qu'elle vaut quelque chose, d'accepter tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle ne sera jamais. Superbes retrouvailles gâchées de suite par une party avec musique bouffonne et danse de vieillards. Inapproprié et surtout énervant.


Malgré ses fautes de goût, Mulan rattrape son aspect bancal par toutes ses autres qualités d'écriture et de réalisation, véhiculant son message avec beaucoup de savoir-faire, proposant des morceaux de bravoure éclatants et un personnage-titre touchant. Des atouts qui n'ont pas laissé de marbre la critique comme le public, le film ayant sa place, encore aujourd'hui, parmi les coups de coeur absolus des fans aux côtés de La Belle et la Bête ou Le Bossu de Notre-Dame. Et pour de bonnes raisons.

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le 24 janv. 2020

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Walter-Mouse

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