Vous ne regardez pas ce que l'on vous montre...

David Lynch ne vous prend jamais par surprise, jamais. En vérité c'est vous, le spectateur qui subissez votre habitude à voir. Je m'explique.


Vous marchez dans Mulholland Drive après votre accident de voiture, situation sombre et sordide. Choqués de cet événement qui vous percute de plein fouet, vous entrez en stase contemplative - ou vais-je ? C'est là le début de votre erreur. Car vous commencez dès lors à anticiper, vous ne regardez plus qu'au devant, vous ne cessez d'être en quête de réponse, où vais-je ? où le film compte-il m'emmener ? Pire, où va ce film ?
Qui sont ces gens qui bougent, vivent, essaient de se parler, me parlent-ils ?


Oui, tout vous parle, tout bouge pour vous, Mulholland Drive ne cesse jamais de s'adresser à vous tandis que vous vous obstinez à essayer de le comprendre, il vous raconte tout ce qu'il a à vous dire et pourtant vous cherchez plus loin derrière, doublant ces réponses que l'on vous apporte car vous êtes incapables de les entendre. Vous êtes entièrement conditionnés à suivre les récits, à suivre les films comme une route, et certains que vous êtes, jamais vous ne regardez les panneaux qui vous entourent. C'est votre faute. Mulholland Drive ne devient qu'un bon téléfilm.


Mais Lynch ne vous abandonne pas, et excédé que vous ne daignez vous pencher sur ce qui vous est montré, il finit par vous gifler de ce qui aurait dû vous sembler naturel, il vous aveugle par son twist, et vous ouvrez finalement les yeux - puisque vous êtes perdus - mais vous les ouvrez trop tard et le film s'arrête.


Vous vivez votre second accident de voiture, la route s'est dérobée sous votre expérience des films, de ce qu'ils sont, de ce qu'ils racontent. On meurt plus souvent en voiture sur les routes que l'on connaît - n'est-ce pas ? Et cet accident, plus violent encore que le premier, crée un manque. Une impression diffuse, quelque chose de lointain, comme un moteur, ronfle en vous. Vous êtes passés à côté de quelque chose, mais quoi ? Voilà la meilleure question que vous vous êtes posés jusqu'alors, et pourtant le film est terminé. Qu'est-ce qui a traversé la route, pourquoi ai-je dérivé ?


C'est votre estime, votre ego de spectateur, de 'celui qui veut comprendre' qui vous sauvera. Vous lancez le film une seconde fois, plus tard, quelques jours après lorsqu'enfin cette impression vous a labouré trop violemment pour pouvoir toujours y résister. Vous cédez, Mulholland Drive redémarre. Vous n'êtes plus spectateurs du récit, vous percez les détails. Rien ne doit plus vous échapper, vous finissez par regarder le film. Vous y entrez, et toutes les voix, tous les indices s'imposent ensemble, tout s'éclaire. La chose importante est la chose évidente que personne ne dit. En cherchant cette chose importante que vous avez manquée, vous tombez face à l'évidence. Tout a donc un sens. Ce qui ne semblait être que du sur-jeu télé-filmique, une lumière halogène écrasante, les motifs cliché-tiques des thrillers, tout cela ne sert qu'une chose. Tout cela sert la fin, tout cela vous était montré dès le départ et vous n'avez rien vu.


Voilà votre entrée frénétique, cette course folle de la résolution d'un théorème, l'extase solitaire de la mise à jour, de la résolution. C'est à la deuxième tentative que vous avez regardé Mulholland Drive pour la première fois, et vous ne cesserez plus de le revoir, de percer à chaque lecture de nouvelles évidences, toujours galvanisés par l'abîme du sens dans lequel vous plongez. Lynch ne vous a jamais abandonné, vous avez finalement regardé ce film, et lui accordez le crédit de son effort, conscients que si ce film nous vous a pas percé dès le départ, c'est entièrement par votre manque absolu de volonté - ou plus précisément, par ce zèle excessif dont vous avez fait preuve, à savoir où vous alliez sans regarder par où vous passiez. Mulholland Drive est une route, que l'on prend à l'envers, que l'on découvre toujours.

Kvin-Argant198
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Gagner ce n'est pas tout, c'est la seule chose. et Top 10 Films

Créée

le 26 déc. 2017

Critique lue 603 fois

9 j'aime

9 commentaires

Arly Arly

Écrit par

Critique lue 603 fois

9
9

D'autres avis sur Mulholland Drive

Mulholland Drive
Sergent_Pepper
9

“It’s no longer your film”

Mulholland Drive est un lieu emblématique d’Hollywood, une route passant par une colline du haut de laquelle on nous offre un surplomb sur la ville et ses artères lumineuses. L’une d’elle, saignée...

le 19 janv. 2014

186 j'aime

12

Mulholland Drive
Grard-Rocher
9

Critique de Mulholland Drive par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En pleine nuit sur la petite route de Mulholland Drive, située en surplomb de Los Angeles, un accident de la circulation se produit. La survivante, Rita, est une femme séduisante qui parvient à...

166 j'aime

35

Mulholland Drive
Anna
4

Critique de Mulholland Drive par Anna

Probablement un des films les plus chiants du monde, où on essaie d'être assez intello pour en dire du bien tout en se gardant d'aller plus profond dans la critique de peur de passer pour un con qui...

Par

le 19 juin 2010

154 j'aime

44

Du même critique

Mulholland Drive
Kvin-Argant198
10

Vous ne regardez pas ce que l'on vous montre...

David Lynch ne vous prend jamais par surprise, jamais. En vérité c'est vous, le spectateur qui subissez votre habitude à voir. Je m'explique. Vous marchez dans Mulholland Drive après votre accident...

le 26 déc. 2017

9 j'aime

9

The Grandmother
Kvin-Argant198
9

Les enfants ne sont pas des éponges.

Ce court-métrage est difficile, glaçant et terrible et peut déranger beaucoup de spectateurs mais il porte en germe toute la sève, tout ce qui fait le grincement lynchien, infusé a posteriori dans...

le 7 oct. 2019

4 j'aime

3

Finale
Kvin-Argant198
10

Finale, ou les dernières heures du soir.

Je dois remercier la source – aujourd’hui oubliée, mais certainement féminine – qui m’ayant ouvert à Scratch Massive, a permis que j’échoue une nuit, plus tard, porté par la barque numérique de...

le 1 mai 2019

4 j'aime

4