Blinded by the Light (retitré Music of My Life pour sa sortie en France) n’est pas un très bon film, autant le dire tout de suite. C’est pas non plus un film tellement nul qu’il en devient bien (genre the Room), ça ressemble plutôt à un plaisir coupable à la Love Actually, tellement guimauve que ta capacité à aimer le film dépend grandement de ton niveau de cynisme.


Normalement je suis pas trop guimauve mais j’ai une passion pour le cinéma anglais “social mais pas trop” en gros les films comme Pride, Brassed Off ou Billy Elliot : certes tout le monde est dans la dèche parce que c’est les années Thatcher mais tu passe pas non plus tout le film à déprimer, et les personnages échappent à leur quotidien de merde grâce à la danse, la musique ou leur capacité à créer une communauté soudée et solidaire.


Dans Blinded by the Light, on part sur un pitch similaire : Javed, ado d’origine pakistanaise, se fait chier comme un rat mort dans sa ville de la banlieue de Londres où les usines ont une fâcheuse tendance à fermer et où les fachos du National Front s’amuse à courser toutes les personnes un peu bronzées ayant le malheur de croiser leur chemin. Pas de doute, on est bien sous Thatcher ( en 1988 pour être précise). Comment échapper à ce quotidien morose ? En écrivant des poèmes bien sur : Javed se rêve écrivain et aspire à étudier la littérature dans une université loin de sa ville sinistrée.


Pas étonnant alors que la découverte des chansons de Springsteen grâce à un camarade de classe soit pour lui comme une révélation : qui mieux que lui a chanté la face cachée du rêve américain, les villes de la Rust Belt dévastées par la désindustrialisation (The River, My Hometown), l’envie de se barrer même sans savoir où on va (Born to Run, Thunder Road) et la volonté de s’en sortir malgré l’adversité (Promised Land, Badlands). Malgré le contexte historique bien glauque c’est le côté optimiste et motivant de Springsteen qui va être le plus mis en valeur. Pas question de se taper l’intégralité de Nebraska, on préfère les montages énergiques où les personnages reprennent les tubes du Boss, montages devant lequel il est difficile de rester de marbre, soit parce qu’on est en train de mourir de honte soit parce qu’on a envie de chanter avec eux (dans mon cas un savant mix des deux). Le film se veut résolument feel good, mais le contraste entre les moments les plus niais et les problèmes les plus graves (racisme, chômage) est beaucoup moins bien géré que dans d’autres comédies sociales à l’anglaise.


Cela s’explique sûrement par le fait que la progression du scénario soit en fait beaucoup plus tributaire d’un autre genre cinématographique : comme son protagoniste fasciné par une mythologie très US, le film tente de mêler la comédie sociale à l’anglaise et le film coming of age plus formaté à l’américaine. Javed a donc des problèmes classiques d’ado : il n’a pas de copine, ses parents ne le comprennent pas et il doute à tort de ses capacités, que des problèmes qui seront résolus à la fin du film comme il se doit, en gros rien de bien nouveau sous le soleil. Certes l’intrigue sentimentale permet de mettre en valeur le côté lover de Springsteen (Prove it all night) et les déboires de Javed en tant qu’apprenti écrivain servent à passer un message motivant à tous les jeunes poètes en herbe, mais ça reste gentillet sans plus. Là encore le film souffre de la comparaison avec d’autres films du même type ( Booksmart par exemple) mais surtout de la popularité du coming of age devenu un genre à part entière ce qui fait que les clichés sont plus facilement repérables et plus facilement exaspérants. On saluera tout de même une dépiction assez fidèle de la stupidité adolescente, période où on adore tout dramatiser de façon théâtrale (inénarrable scène ou Javed écoute Bruce pour la première fois) et où on développe facilement des obsessions qu’on défend ensuite bec et ongles devant des néophytes plus ou moins dubitatifs, ce qui donne des scènes très drôles où Javed essaie de réhabiliter son héros, considéré par la plèbe comme un red neck has been.


L’intrigue concernant la famille de Javed est la seule à être un peu innovante et nuancée et à apporter de la gravité et un enjeu émotionnel au film. En effet le père de Javed est très strict et entend bien faire de ses trois enfants des adultes responsables et respectueux des traditions de leur pays d’origine : pas question de sortir le soir, et encore moins de sortir avec une personne en dehors de la communauté pakistanaise. La question du statut des enfants d’immigrés de la seconde génération, entre loyauté envers leur famille et envie de faire comme les jeunes du pays dans lequel ils ont grandi était déjà présent dans Joue là comme Beckham de la même réalisatrice. Il aurait sans doute mérité d'être mieux intégré à l’ensemble : la deuxième heure, où le thème est le plus prévalent, est moins dynamique que la première et abandonne apparemment toute idée d’intégrer du Springsteen à sa BO. Les dernières scènes permettent tout de même de conclure cet arc narratif de façon satisfaisante et en évitant le manichéisme.


En bref, le péché capital du film est selon moi d’avoir voulu traiter trop de thèmes en même temps en ne les répartissant pas de façon très adroite sur l’entièreté du long métrage, ce qui fait que chaque intrigue, chaque problème (racisme, différence de classe) est un peu torché de façon manichéenne. Cela donne un pot pourri que certains trouveront sans doute indigeste, que certain trouveront charmant, que j’ai personnellement trouvé décevant tant le postulat de départ avait du potentiel. J'en attendais peut être trop étant donné que j’ai moi aussi été une ado prétentieuse qui écoutait en boucle Born to Run en rêvant de me barrer de ma ville de merde. Après on va pas se mentir c'est dur de résister au pouvoir euphorique des tubes du Boss hurlés à plein poumons donc j’ai surnoté.

cielombre
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le 8 sept. 2019

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