Filles d'un monde qui défaille

Un bien joli film, qui nous apparait d’abord comme un conte nous décrivant le sort d'adolescentes dans un village de la Turquie conservatrice, qu’on oppose souvent à une Turquie plus ouverte symbolisée par Istanbul. Ici plus qu’ailleurs, le comportement attendu d’une femme est très normé, car il en va de la réputation de la famille, et de l’honneur des hommes.


L’exaltation de la sortie d’école au début des vacances n’excuse rien, une jeune fille doit se tenir. La charge est lourde pour la grand-mère et l’oncle de cinq sœurs orphelines. Car les filles sont pleines de vie, elles sont à des âges où la joie de vivre ne se discute pas, elles sont plus ou moins avancées dans l’adolescence mais la liberté leur est vitale. Sauf qu’il va falloir les marier, avant que ce ne soit plus possible, avant que leur réputation ne soit définitivement ternie, car tout se sait dans le village, et les jeux avec les garçons sur la plage n’ont pas été au goût de tous. Dehors, les filles sont en représentation, comme on le voit bien dans une scène ou la grand-mère balade les filles dans le village.


C’est peut-être là que le film est un peu trop écrit, un peu trop didactique, un peu trop catalogue, pas assez nuancé. Mais peu importe, on se laisse prendre et on s’attache à ces cinq jeunes filles, aux personnalités différentes, et aux destinées plus ou moins heureuses.


Telles des princesses de contes de fées, elles vont finir enfermées, privées d’école et de contacts avec l’extérieur, pour les préparer au mariage, subissant notamment cours de cuisine et de couture, pour en faire de bonnes petites femmes d’intérieur, la maison devient une « usine à épouses »…


Le film est riche de scènes variées et souvent émouvantes. La sortie au stade n’est pas sans rappeler Hors jeu de Jafar Panahi, même si c’est moins fermé qu’en Iran, avec de belles scènes de joies, où filles et femmes exultent d’accéder enfin à un privilège masculin. Il y a aussi la scène où deux des filles, dans leur chambre et sur leurs matelas, se baignent, plongent dans la mer, un peu comme les footballeurs de Timbuktu qui jouent sans ballon. Et puisqu’il est question de mariages, la question de la virginité va se poser, et on a droit à la scène du drap, même s’il s’agit de nous dire qu’une fille ne saigne pas forcément la première fois. Sur cette question des mariages forcés, je vous conseille ce magnifique morceau de la Rue Kétanou, La fiancée de l’eau : https://www.youtube.com/watch?v=djRi05wUaLI


Les mariages s’enchaînent, et la violence de l’oncle s’affirme de plus en plus. Les femmes ne s’opposent pas vraiment à cette domination masculine qu’elles ont intériorisé, même si une tante sauve les filles une fois et si la grand-mère, quelque part, cherche à protéger les petites de l’oncle…


Bref, s’il s’agit d’un film clairement militant et engagé contre la résurgence d’une Turquie conservatrice et pour la liberté des femmes, c’est aussi un film sur la douceur et les questions de l’adolescence, et un bel exemple de sororité, puisque ce mot émerge de plus en plus !

socrate
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le 21 juin 2020

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