Parfois l’envie d’aller voir un film ne tient pas à grand-chose.
La présence d’Orelsan et de Gringe au casting vocal par exemple.
Ou bien encore celle de Toxic Avenger à la bande-originale.
Et puis enfin celle des studios Ankama à la production…
En somme, autant d’éléments singuliers qui, tous réunis, pouvaient augurer de quelque-chose méritant le détour…


Et au final, je confirme : le détour ce film mérite…


Pourtant – et je ne vais pas vous la faire à l’envers non plus – je trouve que malgré tout, ce « Mutafukaz » n’est vraiment pas exempt de tout reproche. Loin de là.
Et pour être même honnête jusqu’au bout, j’irai jusqu’à dire que de la première à la dernière minute, ce film ne m’a jamais vraiment emballé ni convaincu.


Alors du coup, pourquoi une note aussi conciliante en fin de compte, moi qui suis d’habitude si radical quand une œuvre me met chafouin ?
Eh bien tout simplement parce que, aussi chafouin fus-je, je n’en fus pas moins réceptif à la démarche de l’œuvre.
Parce que oui, s’il y a bien une chose qui, selon moi, ne peut pas être retiré à ce film, c’est qu’il est animé par une véritable démarche artistique. Il a une patte quoi…


Cette démarche, pour le coup, elle est clairement formaliste.
L’esthétique tout d’abord est très soignée. Décors très fournis et très créatifs. Pas de minimalisme paresseux. Pas de couleurs criardes non plus. La gestion de la lumière est totalement cohérente et vraiment aboutie.
Même chose pour les cadres qu’on pense toujours selon des logiques de lignes très dynamiques, avec beaucoup de « débullements » assez agressifs mais la plupart du temps assez bien vus.
La musique et les transitions sont également très travaillées. « Mutafukaz » apprécie confronter des environnements et des styles parfois bien distincts...


(Le ghetto façon « South Central » s’oppose assez radicalement à l’atmosphère sombre de la base des « Nachos » ; tout ça dénotant également avec cet univers de catcheur presque cartoonesque.)


...et en cela les transitions jouent le rôle de lien indispensable, avec parfois des changements de style et de narration assez radicaux mais qui savent donner du sens à ce patchwork un peu foutraque.
Un titre. Une présentation. Une mise en affiche : tout est prétexte pour créer du liant et poser l’atmosphère.
Et franchement, moi je trouve que ça marche.
Je ne me suis pas ennuyé, et si c’est le cas, c’est clairement grâce à ça.


Ce film, formellement, se réinvente toujours.
Il fourmille d’idées. Et certaines font franchement mouche.
(Palme perso pour la course poursuite avec le camion-glace. Là, aussi bien au niveau montage, musique, enchaînement de formes diverses, c’est juste « festival ». C’est très nerveux sans partir dans tous les sens. Ça a vraiment le sens du rythme et de la lisibilité. Franchement, un très beau moment).


En somme, il y a là vraiment une proposition riche et intéressante, d’autant plus captivante qu’il est au final assez difficile d’anticiper où elle compte aller. Or, cette petite folie des œuvres qui savent sortir des rails pour se laisser prendre par le processus créatif, moi je trouve ça beaucoup trop rare pour ne pas en profiter…


Seulement voilà, s’il y a peu d’œuvres qui se risquent à sortir des rails, c’est aussi parce que ça peut vite partir en cacahuète, et malheureusement c'est un peu le cas de « Mutafukaz ».


Je disais que, de la première à la dernière minute, j’avais peiné à être convaincu.
Eh bah si ce fut le cas, ce fut justement à cause de ça.
Et à dire vrai, plus que foutraque, c’est surtout inégal.
On sent que l’ami Run, happé qu’il était sûrement par l’exploration « atmosphérique » de son univers, a parfois (souvent) négligé certaines bases.
Des moments très ambigus côtoient des idées très basiques, avec entre autres de banals repompages de classiques de la SF (comme « Invasion Los Angeles » par exemple).
L’originalité d’un instant peut parfois se retrouver savaté par un bon gros poncif qui tache dans la foulée. Et je ne peux d’ailleurs m’empêcher de voir une certaine immaturité gangréner le projet.


Souvent le film sombre dans une certaine violence gratuite. Plus d’une fois je me suis dit qu’on nous fourrait là des fusillades juste pour le plaisir de sortir des flingues et de faire des grosses giclées de sang. Je pourrais rajouter à cela la superficialité des personnages masculins et la réduction des personnages féminins qu'à quelques paires de boobs et, en tout et pour tout, à un seul personnage nommé, lequel étant réduit d'ailleurs au pur statut de « love interest ».


Même chose pour le manque cruel de propos, ainsi que le recours assez régulier à des schémas narratifs plus que simplistes pour articuler tout ce monde.


(L’invasion extra-terrestre les gars ? Sérieux ? Le parcours initiatique du héros qui se découvre fils caché d’un ancien grand-méchant ? Et l’amour pour tout résoudre ? …Franchement, à côté de la créativité esthétique prise, ça fait tâche…)


Toutes ces faiblesses cumulées font quand même beaucoup en fin de compte, si bien qu’il fut difficile pour moi, malgré le plaisir formel pris, à m’impliquer pleinement dans cet univers.


Et c’est dommage, car pour le coup, « Mutafukaz » se pose quand même à un carrefour culturel intéressant et pour le moment peu fréquenté : un carrefour entre la série B des années 80 et l’esthétique trash et nihiliste d’un « GTA V » ; une croisée des chemins entre les possibilités ouvertes d’un côté par « Amer Béton » et celles ouvertes par « Psiconautas » de l’autre.


Bref, bien qu’incomplet, bien qu’appelant à davantage de maturation, ce « Mutafukaz » démontre que les studios Ankama tentent une fois de plus d’explorer une voie très créative et originale.
A eux donc de persévérer et de continuer à alimenter ainsi cette belle boîte à rêves…

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le 29 mai 2018

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