Si ce film mérite en soi le coup d'oeil, c'est parce qu'il permet de prouver qu'en méprisant toute forme de grammaire du cinéma, pour peu que l'on ait foi en ce qu'on fait, on peut retomber sur ses pattes.
Mutant Girls Squad, au-delà de son appartenance à la série Z, avait tous les arguments réunis pour se planter en beauté. Trois réalisateurs différents à la tête des trois chapitres de l'intrigue (ce qui se sent énormément dans l'esthétique développée au cours des trois chapitres), une tendance à l'empilement de scènes gore un peu vain, des propos un brin balourds sur la nécessité de la tolérance... Mais au final, le film réussit son pari là où dans un autre genre Hobo with a Shotgun avait échoué : donner naissance à un pur objet de jouissance kitsch sans autre prétention que d'exposer au spectateur sa propre débilité, sans nombrilisme ni prétention autre.
Tout est cheap dans le film, commençons par là. L'intrigue est ridiculement mince (une fille veut se venger de la mort de ses parents et survivre à sa traque par les humains), les acteurs sont diablement mauvais, les effets spéciaux ont dû être faits sous Windows 95 et dès que le film stoppe sa frénésie de violence, il devient aussi passionnant qu'une partie de mah-jong. Le film, tourné sur support vidéo accentue évidemment le tout, d'autant plus que l'aspect périlleux du support creuse les écarts esthétiques qui existent entre les trois réalisateurs.
Mais voilà, si Mutant Girls Squad s'apparente sur bien des points au degré zéro du cinéma, proche du film de fin d'année qu'on tournerait à la va-vite avec une caméra Super 8, le film fait preuve d'une générosité dans l'absurdité qui emporte finalement l'adhésion, et force à la plus grande clémence.

Parce que derrière cette vaste fumisterie, il y a trois petits malins qui n'ont pour seul but avoué que de se faire le plus plaisir possible et de faire transpirer leurs plus folles pulsions, et dès qu'on est chez les Japonais, le cul n'est jamais bien loin. Mutant Girl Squad est un film hyper sexué, où les prothèses et moignons sont les instruments de pulsions de violence avant tout reflets de frustrations sexuelles. D'ailleurs toutes ces prothèses se situent au niveau de zones érotiquement connotées sur le corps de ces mutantes (la tronçonneuse sortant d'un anus, des sabres sortant des seins, des espèces de bestioles dégueulasses se substituant à des tétons ou à un pénis, on a même droit à une femme-moule, vaste programme!) et ne s'expriment réellement que dans des moments de frustrations et de colère. Le film transpire le queer et le courant des queer studies, particulièrement à la mode dans le milieu des études cinématographiques, risque bien vite de s'intéresser à cette sexualité de la prothèse et du cyborg qui est au coeur du film. D'ailleurs, une des scènes les plus originales du film montrent le leader du clan des mutantes essayant de s'entraîner à faire durcir sa propre prothèse sans succès, la mise en scène du cinéaste s'arrangeant alors pour nous faire bien comprendre qu'il y a également en arrière-plan, une impuissance sexuelle (renforcée par l'apparence outrageusement androgyne du personnage, dont on ne sait réellement si c'est un homme ou une femme). Les victimes (très souvent des hommes) meurent souvent émasculés ou dans des situations érotisées implicitement ou explicitement et la mort la plus violente s'apparente fréquemment à un viol ; l'une des scènes les plus fortes de ce point de vue voit une jeune mutante piéger un humain en lui roulant une pelle, sa langue se transformant alors en une prothèse longiligne dont la forme évoque quasi-exclusivement un phallus. Plus qu'un vrai film du girl power, le film explore un autre terrain, celui de la pulsion ou du fantasme féminin dont est particulièrement friand le cinéma d'action (Nikita, Kill Bill, Sucker Punch) et il n'y a qu'à voir l'étreinte finale des deux héroïnes transpirant le lesbianisme refoulé pour s'en convaincre. Même si ce n'est pas grand chose, et pas forcément révolutionnaire, c'est déjà ça de pris.

Le coeur même du propos du film est beaucoup plus conventionnel et rejoint pas mal de thématiques soulevées par les films de super-héros, à savoir le comportement de l'individu face à l'ostracisme social. En gros, si l'on devait comaparer ça aux X-Men, disons que l'héroïne serait une Charles Xavier beaucoup plus violente plongée dans le clan de Magneto et qui se rend compte que la lutte pour faire valoir ses droits n'excuse pas tous les types de comportement. On a déjà vu ça mille fois, et souvent traité bien plus subtilement ; disons que le film remplit sur ce point le minimum syndical pour assurer un semblant d'intrigue fut-elle anémique.

Mais évidemment, le principal intérêt du film réside dans son outrance de violence, d'hémoglobine, dans sa galerie de prothèses toutes plus farfelues les unes que les autres, dans ses morts improbables et foutraques. On sent tout bonheur décomplexé qu'ont eu ces trois tarés à filmer leurs héroïnes dans des positions lascives exposer leur sexualité alternative à coups de katana, de coquilles de moules ou de queues de reptiles. Le film est souvent assez drôle (volontairement et involontairement), et les scènes d'action procurent presque toutes ce frisson du plaisir coupable qu'on éprouve à regarder de bons gros nanars, sentiment de culpabilité de cautionner de telles idioties en prime.
On sent quand même trois talents assez hétérogènes, et à ce jeu-là, j'ai trouvé Tak Sakaguchi (réalisateur du premier chapitre) bien au-dessus de ses deux compères ; l'ouverture du film est à mes yeux la partie la plus réussie et maîtrisée, avec sa mise en scène nerveuse d'où se dégagent des plans fixes parfois assez jolis (un comble!), le sommet du film étant sans doute cette séquence où l'héroïne, complètement abandonnée à ses pulsions vengeresses, déambule dans la rue en assassinant tout ce qui bouge au son d'une musique douce. C'est à ce moment-là que le film devient le plus kitsch, le plus grotesque, mais aussi le plus original et le plus prenant.

Mutant Girls Squad est au bout du compte un film laid, boiteux, mal foutu, inégal, bas du front et outrancièrement pervers. Mais le film le sait, l'assume et ne veux pas faire plus que ça. Ca n'est pas le cinéma que le préfère, mais dans le style série Z, si souvent plombés par l'attitude poseuse de certains petits malins, tant d'honnêteté et de premier degré n'en deviennent que plus appréciables.
Sharpshooter
6
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le 25 juil. 2011

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Julien Lada

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