« & sur son épaule penchée elle posa sa main blanche comme neige »

Petit aparté concernant le titre & son adaptation en français. Ainsi, on passe de The Children Act, jeu de mots sur la loi britannique & les conséquences des actes d’un des protagonistes, à My Lady. Petit détail certes mais qui pourrait presque amener à un malentendu dans la perception du film…


Inflation législative, immixtion du temps médiatique avec le temps judiciaire, confusion entre politique & justice, (in)dépendance de la justice. Si commenter une audience, une décision n’est en rien une nouveauté, s’intéresser à ceux qui la rendent, leurs parcours, les "médiatiser" tend quelque part à relancer ces thèmes.


My Lady aurait pu prendre cette direction : qui porte donc cette robe, quel cœur bat en dessous de ces apparats? Contre-pied (typiquement britannique ?) néanmoins lorsque l’on se rend compte que cette vocation, ce sacerdoce a ceci de froid, implacable, millimétré…& d’effacement du soi au profit donc de décisions. Emma Thompson campe Fiona Maye, éminente juge aux affaires familiales à plus d’un titre : de par la concision des décisions rendues, sa manière de "jongler" entre des affaires & son dévouement. Au même titre que sa passion pour la musique classique, les dossiers suivent une mélodie orchestrée à la perfection : transmission des premiers éléments par son greffier, agencement des audiences, traitement du cas et rendu des décisions. Sa décision lors des premières minutes du film lui donne non pas des airs de Wonderwoman…mais de Salomon. Précision, à propos, sus à la complaisance.


L’intérêt du film réside donc dans la manière d’aborder l’influence de l’extra-judiciaire dans le rendu d’une décision par un juge. Expérimentée, chevronnée, Fiona Maye va devoir pourtant mener de front deux tableaux : celui d’un ménage (le sien) en pleine dérive & le traitement d’une affaire plus qu’épineuse. Bien sûr, ces anicroches ne doivent en rien circonvenir à la tenue des audiences, à sa réflexion & donc à la décision rendue. Ici, la caméra n’est ni intrusive, le propos tout sauf impudique. Point non plus de détours par la case "grosse dispute avec objets qui volent" ou par celle éculée du (mauvais) vaudeville. La Justice n’a pas le temps pour les atermoiements & autres doutes. Elle doit se rendre.


Il y a dans ce film une portée absolutrice. L’hommage aux personnels judiciaires, aussi éminents soient-ils, n’est ni excessif ni effectué à renfort de pathos. Comme l’indique le serment effectué par une collègue de Fiona Maye, point de "sympathie ni d’antipathie". Des décisions. Précises. & qui se doivent de l’être pour être appliquées. Fiona Maye a ce tact qui ne verse pas dans la condescendance. Ce petit mot pour chacun & cette distance nécessaire pour marquer sa fonction.


Dès lors, vient cette entorse à ce timing si éprouvé & serré. Dans le cas de ce patient presque (détail qui a son importance) majeur & témoin de Jéhovah, alors qu’une décision était attendue, Fiona Maye décide de se rendre à son chevet pour évaluer ses intentions & jauger de la compréhension des éventuelles conséquences. Cette "excentricité", comme le qualifiera une des parties, donnera une autre dimension à ce film. Il ne s’agira pas de savoir si Fiona Maye va céder ou pas. Mais bien d’assister à un jeu d’équilibriste entre application des lois & focus sur celle tenue à son application. Une fois celle-ci appliquée, affaire suivante serait-on tentée de penser. Mais que faire lorsqu’une des parties revient à la charge ?


My Lady interroge : sur l’usure de la fonction de juge, sur la prééminence de la carrière sur tout le reste, de l’équilibre dans un couple & sur l’amour. L’amour qui, comme le sang chez les Témoins de Jéhovah, est l’alpha de tout. Pur mais platonique & sibyllin selon le mari de Fiona Maye. Immiscible avec la vie professionnelle selon Fiona Maye. Irradié & contaminé par la présence de Fiona Maye selon Adam Henry. Qu’il soit filial (& quelque part par procuration), unique, indissociable de la chair…My Lady illustre l’amour dans ce qu’il a de plus possessif : par l’exclusivité (ou pas) des échanges (qu’ils soient épistolaires ou verbaux), par l’intimité des moments à deux (& parfois leur absence) & par la poésie qu’il s’en dégage (au sens propre comme au figuré). Comme l’obstination d’Adam Henry de refuser son traitement, l’amour est une affaire de constance & d’opiniâtreté. Dès lors, & comme le dit la fin du poète de Yeats, tant pis si Adam Henry est jeune & stupide, & maintenant il est plein de larmes

RaZom
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le 2 août 2018

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