Mon deuxième film de Gus Van Sant après Elephant, que j'avais vécu comme une véritable claque cinématographique. Pas de déception puisque j'ai retrouvé dans My Own Private Idaho les qualités qui m'avaient déjà marqué : un film d'une très grande finesse, sincère, très sobre (presque minimaliste : certains ressentiront de la froideur et une forme de distance, personnellement je trouve que cela accentue au contraire le côté tragique du récit qui s'y développe).


Une sobriété qui se retrouve, dès le début du film, à travers une esthétique simple mais efficace : cette route qui s'étend à perte de vue, ces paysages grandioses. Même les scènes de sexe sont réduites à leur strict minimum, succession d'instantanés un brin déroutante - s'attarder dessus serait hors de propos. Seules les scènes nécessaires sont détaillées : la toute première (la fellation), permettant d'entrer dans le quotidien de la prostitution de Mike, et celles entre Scott et Carmela, dont le vacarme remue effroyablement le couteau dans la plaie pour le jeune homme, épris de son meilleur ami.


Les motivations et le caractère des deux personnages principaux sont on ne peut plus différents : pour l'un, fils du maire de Portland, la prostitution est un simple moyen de s'encanailler en attendant un héritage grassouillet ; pour l'autre, quasi orphelin, c'est le seul moyen de (sur)vivre. Si, pour Scott, cette errance n'est que temporaire, elle semble en revanche aussi infinie que le désert pour Mike. Le montage du film contribue à ce sentiment de perdition, revenant incessamment à cette route, ce "visage" que Mike dit avoir déjà vu tant de fois. C'est là que commence le film, c'est là aussi qu'il se termine.


Le choix de la narcolepsie, bon, pourquoi pas. Cela permet d'avoir une image furtive du passé de Mike (flashbacks très bien réalisés, flous et sombres à souhait), et renforce l'impression de solitude puisqu'il ne reçoit l'aide de personne. Mais cela ne me convainc pas trop, c'est plutôt artificiel à mon goût. Artificiel, l'aspect road movie l'est selon moi aussi, un peu (Mike recherche sa mère, que l'on croit enfin retrouver dans un hôtel, sauf qu'en fait elle est partie en Italie, mais finalement non elle est revenue aux States et reste introuvable...) ; cela aurait pu être mené autrement je pense.


Le véritable coup de maître du film reste évidemment la performance de River Phoenix (Mike), d'une authenticité remarquable du début à la fin. La scène au coin du feu (paraît-il improvisée) en est probablement le meilleur exemple : véritable démonstration de sincérité et d'humilité, par un Mike que l'on n'aura jamais vu aussi vulnérable et touchant, le tout sans tomber dans un pathos exacerbé qui aurait pu être un écueil dans une telle situation. Et dire que c'est ce rôle qui a causé la perte de l'acteur (avant le tournage, il s'était mis à fréquenter les squats de Portland et leurs drogues, pour mieux s'imprégner du personnage ; il n'en est plus sorti). Keanu Reeves ne démérite pas, même s'il paraît forcément un peu fade à côté (mais son rôle y est pour beaucoup). Quant aux autres personnages, je les ai trouvés assez quelconques (même celui qui incarne Bob), bien à leur place, n'empiétant en tout cas pas sur les deux protagonistes.


My Own Private Idaho est une belle romance, mais le film est aussi une formidable étude de mœurs. La prostitution y est présente sous différentes facettes : avec légèreté à travers des situations cocasses (Mike en soubrette), avec gravité à travers le côté documentaire de l'intervention des deux prostitués dans le bar, personnes et témoignages bien réels. Pour Scott, se prostituer est devenu banal : il en vient au stade où coucher avec un homme ne lui pose pas de problème si c'est pour l'argent, en revanche, il lui est inconcevable de le faire par amour. Mike le vit en revanche beaucoup moins bien (convulsions liées au stress face à Alena, Hans ou le client italien). Bien sûr, c'est loin d'être l'unique sujet majeur : anti-conformisme, normes sociales, famille, paternité, homosexualité évidemment sont autant de constituantes sociétales abordées par Gus Van Sant dans ce film. Le tout sans artifices ni pathos excessif.


Bref, vous l'aurez compris : même s'il n'est pas parfait (narcolepsie, côté road movie perfectible, seconds rôles assez ternes), ce film pas très très joyeux m'a particulièrement touché. Et m'a donné envie de continuer mon exploration de l'univers du réalisateur.


Sur ce : 'Have a nice day'.

StalkR
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le 30 avr. 2017

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