Mysterious Skin ou l'histoire qui valait la peine d'être entendue

Un des films les plus importants que j'ai eu l'occasion de voir, un des plus durs aussi.
Explications.

Lorsque vous subissez un évènement traumatique, quel qu'il soit, vous vous exposez, malheureusement, à certains effets. Le trouble post-traumatique, qu'il se manifeste de façon consciente ou refoulée, et ses mécanismes restent souvent difficiles à comprendre et à appréhender. Le réalisateur Gregg Araki s'essaie à vous l'expliquer mais comme toute chose, cela se mérite.
Dans la souffrance, Mysterious Skin réussit avec la témérité et la précision d'un équilibriste.

Adaptation du livre éponyme de Scott Heim, Mysterious Skin retrace le parcours entrecroisé de deux garçons, Neil et Brian.
Depuis l'âge de 8 ans, Brian est la recherche de souvenirs oubliés. 5 heures sont manquantes, absentes de sa mémoire, comme effacées. Tout juste lui reste t-il des rêves aussi étranges que mystérieux, et dans lesquels il voit et sent une présence menaçante. Très vite, il se croit victime d'un enlèvement extra-terrestre et devient un adolescent introverti, en quête de réponses. Il veut se souvenir de ce qui s'est passé.
La clé de résolution réside dans l'histoire de Neil, à l'orientation sexuelle assumée depuis le plus jeune âge. Star d'une petite league de base-ball, dans laquelle se trouve également Brian, il attire l'attention de son coach. Celui-ci, jamais nommé, tisse une relation insidieuse et perverse avec Neil telle une tarentule. Neil deviendra un jeune adulte désorienté, presque consternant de désinvolture, vendant son corps au plus offrant. Neil n'a jamais pu oublier ce qui s'est passé.

Mysterious Skin n'est pas un thriller à suspense car jamais il ne laisse de place au doute. Brian et Neil sont liés car ils ont subi le même viol de leur innocence par la main d'un pédophile. Mais si le film est brillant, c'est parce qu'il parle moins de pédophilie que de ses répercussions sur la vie des deux personnages. Araki, assez peu connu pour sa sobriété, ne détourne jamais le regard sans pour autant tomber dans le voyeurisme et la facilité. La violence est présente, la brutalité et le sexe aussi mais jamais de façon gratuitement frontale dans le but de choquer. Le film est teinté d'une atmosphère onirique, d'une cinématographie colorée et est accompagné d'une bande-son qui nous plonge dans un univers presque surréel. Facile serait de détourner le regard mais ce genre de sujets mérite qu'on le regarde en face. Le jeu en vaut largement la chandelle.

Le film n'est pas parfait, est intenable par moments, mais est d'une justesse incomparable.
D'abord, la performance des acteurs principaux de ce film est époustouflante. Brady Corbet et Joseph Gordon Levitt - ainsi que le reste du cast - se donnent à corps perdus et on y croit dur comme fer et le goût dans la bouche reste amer. Assez pour qu'on reste abasourdi quand vient le générique de fin. Assez pour se sentir à la fois révolté et impuissant. Qu'on est subi ou pas ce que les personnages ont subi dans leur enfance, on ne peut qu'applaudir l'effort, le talent et le courage qu'il faut pour raconter une histoire qui ne trahisse ni ne salisse le propos. Pas une seule fausse note et même une leçon. Les troubles post-traumatiques peuvent se manifester de bien des façons et aucunes n'invalident la gravité du crime commis. Quoi que les gens pensent de l'attitude de tous les Neil ou Brian de la terre, leurs histoires méritent d'être contées et entendues.

J'ai longuement repoussé le visionnage de ce film. Bon sang, il ne m'a jamais quitté depuis que je l'ai vu. Sans dire si je l'aime, je ne peux pas dire qu'il m'ait laissé indifférente. Au contraire, Mysterious Skin laisse une marque indélébile dans le cerveau, des mois, des années après.
J'ai regardé le film sans savoir dans quoi je m'embarquais, (très mauvaise idée d'ailleurs, ne regardez pas ce film juste parce que vous trouvez le titre intriguant comme moi, faut savoir dans quoi on s'engage). J'ai reçu une claque, un hypercut dans l'estomac qui m'a laissé à terre mais qu'est-ce que j'ai appris.

(PS: Merci Gregg Araki et Scott Heim, et tous les gens ayant travaillé sur le projet. Cette histoire, qui est aussi la mienne, mérite la peine qu'on s'y attarde dans toute sa complexité et toute sa tragédie.)