L’enfant prodigue du cinéma asiatique revient en Europe pour proposer au Vieux Monde, une peinture en clair-obscur d’un adultère tournant au chaos. Il y a bien de l’ingéniosité dans le scénario mais le montage maladroit vient atténuer la puissance de la révélation. Entre réel et duperie, Mystery se pose en trompe-œil moralisateur. Que représente l’amour pour les différents personnages ? C’est ce que le film s’évertue à y répondre.


Mensonge et duperie


Une femme est renversée par une voiture sur la voie rapide. La fin tragique de cette femme n’est que l’aboutissement dramatique d’une odyssée interminable auparavant orchestrée par des desseins calculateurs de deux femmes trompées. Nous découvrons rapidement que cette femme n’est pas morte par hasard : c’est un meurtre maquillé en accident où cette dernière paye le tribu de sa vie pour avoir été la maîtresse de Yongzhao, un homme menant non pas une double vie mais une triple -voire une quadruple- vie.


Mystery, à l’image du titre, véhicule une atmosphère particulièrement énigmatique, que ce soient les sentiments cachés et refoulés des personnages ou le meurtre non élucidé, étrangement étouffé et rapidement classé dans les archives de la police locale… D’emblée, le film s’enveloppe d’un voile impénétrable qui peu à peu s’estompe pour laisser place à une situation d’adultère, ingénieuse dans la forme qu’elle revêt.


Ce voile, d’apparence invisible, s’établit sur plusieurs frontières : entre le mensonge et la vérité, réel et abstraction, l’individu et la communauté ou encore dans la dualité des personnages. Les deux femmes de Yongzhao se défient tour à tour pour remporter l’amour de leur mari. Cette lutte fratricide révèle de prime abord la violence infinie distillée dans chacune des deux femmes.


Quand ses deux femmes apprennent la vérité sur chaque autre personnage, le film peut (enfin) commencer. Car les longueurs ne desservent en aucun cas le récit; il en est même larvé. Gâché par le trop plein d’attente, l’élément résolveur arrive juste à temps pour éviter au film de sombrer dans une équation trop alambiquée.


Vu et être vu


Lou Ye réalise un quasi tour de force en substituant à l’adultère une dimension non plus dramatique mais tragique, à l’image de la scène révélatrice filmée en ralenti. Les plans larges de ralenti viennent accentuer une des principales verves du film : déméler le réel du faux. « Qu’est-ce qui est vrai dans la narration ? » Lou Ye semble se jouer de nous comme Hao Lei semble se jouer de son mari et de ses amantes. La chute est amorcée par le désir de vengeance de Hao Lei qui décide par diverses manipulations d’orchestrer la ruine de son mari. L’amour n’a jamais représenté un quelconque sentiment pour elle, ce n’est qu’un statut social dont le mariage est le seul pendant du couple.


Tandis qu’une relation manipulateur/manipulé s’installe entre les divers protagonistes, Mystery insuffle une passion agressive dans le sexe qui n’est plus un réel plaisir; Le sexe est ainsi instrumentalisé en devenant l’objet même de la cruauté humaine. Il fait mal, il brutalise, il violente, étant réduit aux désirs refoulés des amants; en somme, il punit. Paradoxe dont semble encore une fois se jouer le cinéaste en appuyant sur les effets de style afin d’imbriquer dans l’objet sexuel une symbolique très forte de la violence luxurieuse. C’est aussi le style de Lou Ye et son goût prononcé pour la subversion dont les plaisirs charnels sont quelques peu dérivés. L’atrophie des sentiments est telle que les rapports sexuels sont réduits au geste, à la pensée sadique de l’acte.


L’action, basée sur un faux-suspense répondant à la question – qui est le coupable?- excelle dans la puissance des images, de ce qu’elles signifient, de ce qu’elles veulent dire et de ce qu’elles ne disent pas. Ainsi l’intrigue peut s’appréhender comme un jeu de dupe ne déterminant aucun vainqueur ; car il n’y a ni triomphe ni victoire. Les personnages s’observent, se testent et se déchirent, tentant de prendre l’ascendant sur l’autre par le mensonge qui décroche ici le rôle principal : les masques tombent un à un pour laisser entrevoir, à travers les chinoiseries de Lou Ye, la véritable laideur dans l’adultère. Finalement, ce ne sont pas les amants eux-mêmes qui sont cruels, ce sont les vengeurs, refusant toute fin qui les feraient perdre.


Critique acerbe de la société chinoise


Ainsi le réalisateur nous mène sur des pistes contradictoires, voire défectueuses, afin de nous semer dans l’histoire. Il y a ceci d’intéressant dans la contradiction quand la mise en scène parvient à nous retranscrire l’exactitude même des sentiments confus dont l’unique but est de nous transmettre l’ambiance étrange qui règne sur tout le long métrage. Pari réussi pour le cinéaste chinois.


A travers la puissante symbolique du mensonge, nous avançons aveugles dans une histoire d’adultères peu évidente. Si le film propose une critique acérée de la société des mœurs chinois, il est moins évident qu’il restera dans les annales pour son scénario compliqué.

Monsieur_Biche
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le 3 janv. 2016

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Monsieur_Biche

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