
C'est un film que j'ai immédiatement adoré parce qu'il concentre tout ce que j'aime dans le cinéma, plus largement dans la vie, et qu'il reflète bien mon état d'esprit général. En fait c'est le genre de film que j'aurais aimé faire. L'adoration a donc duré jusqu'au bout et quand il s'est terminé je me suis rappelé comme ça peut faire du bien de tomber amoureux d'un film. On en connaît rien, pas même une image, et puis 1h30 plus tard on est marqué à vie.
Déjà avec Memphis comme décor du film c'était gagné d'avance. Qu'on accorde une telle importance à cette ville américaine, filmée dans de longs travellings latéraux qui nous la dévoilent comme si c'était un personnage, me plonge dans mes fantasmes typiquement américains. La grande Amérique, vue en tout petit, avec ses bâtiments délabrés, ses gares archaïques, ses bars et hôtels poisseux, ses alcools qui sentent le kérosène et ses légendes du rock. Une Amérique un peu cassée, où rien ne va, faite d'erreurs, de contre-temps et aussi d'itinérances. Où même ce qui est censé être intouchable devient un peu ridicule, avec le mythe d'Elvis Presley tourné en dérision. Et puis de toute façon on préfère Carl Perkins (sic).
Et ses personnages, mutiques ou trop bavards, calmes ou à fleur de peau, posés ou complètement démesurés. Non vraiment j'adore tout dans ce film. La chaleur des nuits d'été, la vie en parallèle d'insomniaques qui s'agitent quand la ville dort, et le bruit qui réveille tout le monde au matin, venant rappeler aux personnages que non, ils ne sont malheureusement pas en train de rêver. L'absurdité de ce qui se passe aussi, et l'arrêt sur image dans le temps, qu'on dilate par la répétition chronologique avec Blue Moon en symbole.
Mystery Train c'est en fait comme le touriste japonais qui, plutôt que de photographier l'extérieur, se contente de prendre en photos les aéroports et chambres d'hôtels. Parce que ça, il ne s'en souviendra pas. Mystery Train agit comme ça, attire notre attention sur des détails : une lampe dans le décor qui tombe, des magazines qu'on aurait pu ignorer mais dont on se retrouve plein les bras, une putain de bouteille de Butcher perdue dans les recoins d'une épicerie mortuaire qu'on finit par attraper au hasard (en deux exemplaires bien sûr, histoire de se mettre vraiment bien) ; et des laissés pour compte d'une ville semblant vivre dans le passé. Memphis, déjà en 90, c'était fini.
Pas étonnant qu'aucun de mes éclaireurs n'ait mis moins de 6. C'est quand même dur de ne pas aimer ce film, non ? Comme quoi moi qui avais un a-priori négatif sur Jim Jarmusch à cause de ses films récents, en fait ça peut être bien. Suffit pour ça d'être plus simple et plus connecté au réel. Et de foutre sa caméra à Memphis, Tennesse, en suivant un trio d'idiots alcooliques. Gagné d'avance je vous dis.