Mystic River est le scénario génial d'un jeu vidéo qui mélange les genres.
Au tout début, tu dois t'entraîner à jouer au hockey. Une fois que tu as réussi quelques coups, une cinématique te fait perdre la balle dans le trou du caniveau. Mais tu pourras revenir, plus tard, sur ce trottoir, pour t'entraîner : ça te permet d'augmenter ta capacité à te servir de l'arme « crosse ».
Ensuite tu marques ton nom dans du ciment, c'est là que tu choisis le nom de ton personnage. Une cinématique (les débuts des jeux vidéos sont souvent lourds en cinématiques) montre ton pote se faire enlever. Tu dois essayer de le sauver en coursant les méchants dans la forêt. Mais tu ne le rejoins que trop tard, il lui est déjà arrivé... ce qui lui est arrivé.
Ensuite tu joues les trois personnages simultanément. Quand t'es Sean, c'est principalement des courses poursuites et du point and click pour étudier le cadavre et la scène du crime. Quand t'es Dave tu dois contrôler ton sang-froid en permanence en faisant des combinaisons compliquées de touches. Quand t'es Jimmy, tu bastonnes.
Alors voilà ce que je pense de ce film : c'est un bon condensé de clichés. Je dois dire que Clint Eastwood a ce génie de savoir les détecter et les instrumentaliser.
Le principe : c'est ce qu'on appelle un whodunnit, on se demande qui est le tueur. En fait, c'est un bon épisode d'une mauvaise série policière. On sait depuis la nuit des temps que le whodunnit est foireux, Hitchcock est le premier à le penser. C'est beaucoup plus intéressant d'étudier comment se comporte un meurtrier avec un meurtre sur la conscience (Rope), le meurtrier forcé (L'inconnu du Nord-Express, Dancer in the Dark, Le choix de Sophie) ou de montrer comment le meurtrier se trahit (tout épisode de l'excellente série Columbo).
En plus d'être un whodunnit de pacotille, c'est un whodunnit avec twist final. Or on sait également depuis la nuit des temps que le twist final est difficile à employer. 1) Parce que le spectateur n'a aucun moyen de savoir, aucun moyen d'être pris dans le film. 2) Parce que souvent, le « who » en question est un mauvais « who ». Dans les Dix petits nègres d'Agatha Christie, on connait au moins en profondeur chacun des personnages, ce qui rend l'identité du coupable intéressante. Ici, problème : le méchant est un mauvais méchant. C'est intéressant, les mauvais méchants. C'est ce qui fait par exemple que Twin Peaks devient mauvais à sa deuxième saison. Durant la première saison, la question n'est pas tellement de savoir qui a tué Laura Palmer, mais plutôt de voir comment tout un village se décompose devant un meurtre mystérieux, comment tout le monde est suspect, et combien cet endroit est généralement fou. D'autant que le principal attrait de la première saison est qu'elle est drôle, et que l'enquête est menée avec beaucoup de désinvolture et d'humour (cf. la scène où Dale Cooper utilise la « méthode tibétaine » : http://www.youtube.com/watch?v=C9kejvxRokg). (Dans Mystic River, il n'y a à proprement parler AUCUN humour.) Saison 1, donc : Le méchant est diffus, c'est la société en général, c'est tout le monde. La deuxième saison se rabougrit car le mal est incarné en un personnage que l'on connaît mal : un mauvais méchant. Exactement le problème de Mystic River. Je ne vous spoile pas qui est le tueur, mais de toute façon ça ne vous intéresserait pas. Le vrai spoiler, c'est de vous annoncer que c'est un personnage plus que secondaire...
Il y a bien quand même un assez bon élément psychologique dans Mystic River, quand Clint écoute les bons conseils des pros du thriller : un personnage en tue un autre par emportement. Mais là où on pourrait enfin être satisfait, la lourdeur empêche toute émotion. « Et si c'était nous qui étions montés dans cette voiture à sa place et qui nous étions fait violer quand on était petits ? » devient le refrain d'un ode à l'ami Freud. Il n'est certes pas inintéressant d'étudier comment un événement traumatisant de l'enfance peut avoir un impact sur le futur, mais c'est fait avec un m'as-tu-vu hollywoodien larmoyant pathétique. Dave n'est que viol, Jimmy n'est que culpabilité.
Dernier détail énervant : la femme Clint Eastwood. Est-ce que c'est avéré qu'il est homosexuel ou pas au fait ? C'est pas possible qu'il en ait connu personnellement, des femmes, sinon il pourrait pas les faire comme ça. Dans Million Dollar Baby, la femme est un homme, dans Mystic River la femme est une oreille. Une petite chose fragile qui aide l'homme, qui en est effrayée parfois, qui essaie de le ramener à la raison (car elle est la sagesse même)... Si c'est pas mignon. Et au fait, vous avez déjà vu une fille qui embrassait son père sur le nez avant d'aller faire un tour ? Certes, si mon père était Sean Penn, peut-être que je le ferais... Mais sinon ?
Ce sont ce genre de détails qui font que j'ai besoin de prendre une pilule anti-gerbe avant de regarder ce film. Mais tout cela est mesquin et subjectif. Le 3 que je lui ai mis est symbolique. En fait, ça mérite un 4.

PS : en fait j'en veux à toute l'équipe du film, pas seulement à Clint Eastwood, qui n'est finalement qu'un pauvre petit réalisateur qui met en scène un scénario qu'on lui a donné, et qui le fait d'une façon ultra-classique (il suffit d'avoir vu un épisode de NYPD Blue, d'avoir un peu de métier et une bonne caméra).

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le 25 sept. 2010

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Philistine

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