"Nos péchés, nous les enterrons ici"

La bêtise est un thème inépuisable, fascinant, terrifiant, et abordable de mille et une façons. Les frères Coen en ont fait leur sujet de prédilection, en l’abordant soit avec cynisme et violence ("Fargo", "No country for old men") soit avec humour et dérision ("Burn after reading"). William Friedkin, réalisateur de "L’exorciste", s’y est, lui aussi, récemment frotté avec son excellent "Killer Joe", où il s’intéresse à la perversité et la vulgarité inhérentes à la bêtise.

Clint Eastwood n’est connu ni pour son humour, ni pour ses provocations. Son cinéma n’est ni ironique ni à double facette. Il aborde ses thèmes de front, avec rudesse et lucidité mais, aussi, avec émotion. Avec "Mystic River", encore plus qu’à la bêtise, il s’intéresse à la médiocrité. Et aux médiocres. Ces êtres qui passent leur vie entière dans la même petite ville, entourés de leurs parents, de leurs enfants, de leurs cousins, de leurs cousines, les cousins des uns se mariant avec les cousines des autres, terrifiés à l’idée qu’un élément extérieur vienne perturber leur équilibre consanguin. Ces êtres incapables de prendre la moindre hauteur sur un évènement, et qui sont prêts à toutes les bassesses du monde pour obtenir une réponse, vraie ou fausse, à leurs questions, pour enfin reprendre leurs habitudes.

La petite ville prend des apparences de vase clos, c’est une autre planète, avec ses propres lois, ses propres codes, ses propres enquêteurs et ses propres chefs, la police du monde réel étant méprisée et mise en concurrence. Le gris et le bleu, seules couleurs du film, contribuent à cette sensation d’enfermement, d’impossibilité, et l’on ne peut que contempler, impuissants, les médiocres résoudre leurs affaires, parfois en se consultant préalablement les uns les autres, parfois non. Clint Eastwood n’aborde pas la bêtise comme les frères Coen ou William Friedkin. Les histoires qu’ils racontent et leurs manières de les raconter sont différentes. Elles se terminent pourtant de la même façon.