NERUDA (15,7) (Pablo Larrain, CHI, 2017, 107min) :


Anti-Biopic narrant le destin du sénateur communiste Pablo Neruda, poète emblématique chilien, critique envers le pouvoir, dont le président Gonzalez Videla demande sa destitution et son arrestation dès 1948, au début de la Guerre Froide au Chili. Le réalisateur chilien depuis ses débuts cinématographiques à l’habitude d’ausculter le passé de son pays par le biais de trames politiques et sociétales notamment dans le pertinent Santiago 73, post mortem (2010), l’ingénieux No (2012) et l’excellent El Club (2015). Avec l’aide de son scénariste Guillermo Calderon, le cinéaste s’est replongé dans les écrits et poèmes de l’auteur Pablo Neruda (Prix Nobel de littérature le 21 octobre 1971) afin d’en délivrer une partielle biographie cinématographique atypique non hagiographique. Dès la première scène le ton est donné ! La caméra nous fait littéralement pénétrée dans l’intimité du poète avec une séquence dans les toilettes hommes où Neruda en même temps qu’il satisfait un besoin naturel rétorque de façon ironique à des attaques du président du sénat Arturo Alessandri et au pouvoir en place. Les plans suivant déconcertent également où la mise en image du mythe Neruda au milieu de fêtes mondaines assez épicuriennes où la musique, les femmes nues, les agapes, le luxe et les déguisements sont de la party, ce qui tranche singulièrement avec le portrait traditionnel de l’auteur. Nous sommes plus habitués à le voir illustrer en défenseur des opprimés et des travailleurs ou romantique par le biais des poèmes d’amour. Larrain en fait même un personnage par très sympathique, un type assez jouisseur, égoïste, arrogant, capricieux et choisit un angle déroutant en inventant un personnage de fiction pour décrire non pas des faits historiques absolument réels mais par le biais du mythe Neruda en fait une réalité fantasmé. La mise en scène toujours très fluide n’hésite pas les coupures approximatives, les fonds d’écrans à l’ancienne lors de trajets de voiture, une imagerie suranné avec même quelques flous dont le cinéaste aime l’application dans ces films. L’intrigue narrative s’avère devenir un véritable thriller non réaliste, un jeu du chat et de la souris où l’inspecteur de police « mi-abruti, mi-con » Oscar Pelluchoneau est chargé par le président Villeda d’arrêter l’écrivain dissident avant que celui-ci parvienne à quitter le pays. Le film devient protéiforme et vertigineux, car le polar course poursuite se transforme peu à peu en roublardise psychologique par une certaine maestria scénaristique où le chasseur s’infiltre peu à peu dans le cerveau de la proie, par des voix off entre autres pour devenir un miroir des maux au fil des mots divagateurs représentant le côté sombre de Neruda. Un jeu de cache-cache ingénieux qui permet de pointer les dérives communistes et d’augurer par petites touches la suite tragique du Chili, notamment avec la présence du futur dictateur Pinochet dans un camp de prisonniers. Ce road movie nous conduit sur une mécanique narrative escarpée, où les ruptures temporelles accompagnent les débauches de La gauche caviar, les routes montagneuses de la Cordillère des Andes, l’exil forcé en Argentine jusqu’à l’Europe terre d’accueil artistique. A la manière d’un roman Larrain filme à la manière dont Neruda écrit, avec du souffle et l’art poétique se décline avec pertinence tout au long du récit. Cette œuvre politique ne manque pas d’originalité et permet au réalisateur de mettre également le doigt sur les postures contradictoires du poète aussi bien artistique que politique et de napper son long métrage d’une certaine ironie qu’on lui connaît, par le biais de ces projets cinématographiques précédents. Un portrait irrévérencieux ou les dialogues sont particulièrement délicieux et vifs. La partition musicale du compositeur argentin Federico Jusid de bon aloi nous convie aussi bien au drame qu’à la rêverie auxquelles viennent s’ajouter le puissant morceau "Peer Gynt, music to the dramatic Poem by H. Ibsen" d’EH Grieg ainsi que des morceaux plus expérimentaux de Carlos Cabezas Rocuant Un poème visuel onirique porté par l’interprétation malicieuse de l’impeccable Luis Gnecco bien secondé par le talentueux Gael Garcia Bernal aussi sinistre que drôle dans le rôle d’un faux Dupont pied nickelé à la poursuite du héros. Venez plonger avec lyrisme dans cet hommage singulier à Neruda. Ambitieux, brillant, insolite et vibrant.

seb2046
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le 4 janv. 2017

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