Avec Never Let Me Go,Mark Romanek signe un film qui ne peut laisser indifférent, et cela à plusieurs égards. Le sujet d'abord est dérangeant : la manière de filmer l'histoire de ces clones créés à seule fin de servir de donneurs d'organe (et donc promis à une vie brève) procède non seulement sans pathos mais surtout ne s'embarrasse pas de morale. Le monde qui nous est présenté utilise le clonage depuis les années 50 ce qui a permis d'accroitre l'espérance de vie de l'humanité. Ce que dit le personnage de Charlotte Rampling à la fin du film est extrêmement gênant : "demandez aux gens de retourner à l'époque noire, les jours du cancer, de la sclérose latérale amyotrophique et ils refuseront." Le problème devient concret et non moral. Il s'agit d'éthique. C'est pourquoi ces clones ne sont pas habités par la révolte que ressentent les opprimés. Cette révolte nous la ressentons pour eux. Et c'est la première force de ce film que de nous faire sentir l'exigence éthique. L'empathie créée entre nous, spectateurs et les personnages nous fait prendre conscience du scandale de leur condition qu'ils ne perçoivent pas. Et là je pense à l'analyse qu'avait écrite Barthes sur Les Temps modernes de Chaplin : "Charlot [...] montre sa cécité au public de telle sorte que le public voit à la fois l'aveugle et son spectacle ; voir quelqu'un ne pas voir, c'est la meilleure façon de voir intensément ce qu'il ne voit pas." Ainsi, devant la mort de Ruth (Keira Knightley), on compatit non seulement à la douleur de Kath (Carey Mulligan) on est surtout révolté par l'indignité d'un tel sort, précisément parce que la scène est filmée dans la neutralité d'un acte chirurgical où la mort n'est signifiée que par le son continu de l'électrocardiogramme.

L'ensemble des personnages qui ne sont pas des clones expriment au contraire nos sentiments vis-à-vis des condamnés et sur les visages se lit la même compassion que sur les nôtres. C'est encore pour montrer que celle-ci ne suffit pas à empêcher une pratique. Et c'est avec cette subtilité-là, presque invisible, en creux, qu'une possibilité politique s'ouvre et interroge le spectateur sur l'écart entre compassion et engagement. A ce propos le film condamne sans appel ce que l'on entend par mal nécessaire, et cela bien au-delà du contexte du clonage mais à tous les niveaux où notre inquiétude éthique se trouve en balance avec notre confort quotidien.

Enfin, l'interrogation de Kath : "je me demandais si nos vies différaient tant de celles que nous sauvions", referme le film sur sa dimension ontologique et révèle toute la poésie du film, qui dans sa tristesse et son désespoir, contient en germe cette position sur l'existence qui affirme que vis-à-vis de la fin, nous sommes tous logés à la même enseigne. Et c'est la beauté de la dernière scène, où sur les barbelés s'agitent des déchets que le vent a accrochés, qu'en dépit de la mort, malgré le passage temps, et quelque fût le tragique de notre parcours, de notre condition, nous serons parvenus à sauver quelques moments, notre vie.
reno
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le 19 oct. 2011

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reno

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