#7 J'ai vu... Neverland (2004-Marc Foster)

A la toute fin de Neverland, de Marc Foster, nous assistons à la disparition, à l'image, des protagonistes principaux tandis que la caméra effectue un mouvement de recul, comme pour s'en rendre compte.
Cette disparition, cette évaporation, c'est surtout la révélation d'une superposition, de l'existence d'au moins deux couches d'image dont l'une se substitue à l'autre, tout en lui préexistant.
Ces deux couches d'images, ces deux niveaux de lectures du films sont caractérisé par un choix de casting qui conditionne le projet même de mise-en-scène. Il a mis un moment à me sautez aux yeux, mais j'ai réussi à m'y intéresser lorsque j'ai découvert qu'un banc, que tous les banc du film d'ailleurs, que l'objet banc, en somme, était au cœur d'un dispositif ayant pour effet de caractériser, à l'image, un pont, un lieu de passage et d'échange, un lieu commun en somme à deux univers radicalement opposé.
D'un côté, il y a donc Johnny Depp, avec tout ce qu'il incarne à l'image, c'est à dire une certaine puérilité cinématographique, une naïveté hollywoodienne qui commencerait quelque part avec les premiers Disney, voir Walt Disney lui-même et qui irait jusqu'à Tim Burton ou le spectacle des pirates des Caraïbes (juste retour, concernant ce dernier, d'un esprit Disney justement au cœur de la machinerie Hollywood). Et puis de l'autre, Kate Winslet, avec ce qu'elle incarne de dramatique, de victorien presque, cette rigueur toute anglaise et sa spécialisation dans le drame caractérisé (Titanic, Jude, les noces rebelles et j'en passe...).
Neverland, c'est un prétexte pour faire s'opposer une certaine idée du réel (ou plutôt de réalisme) contre un pouvoir de l'imaginaire, la force d'un récit fantastique, la fiction en somme.
Tout est donc dans cette opposition: Barry l'auteur contre son univers féerique, monde des adultes, contre monde des enfants, aristocratie contre misère, scène baroque et onirique contre reconstitution historique et minutieuse, emphase du travelling contre plan fixe, accélération du montage (pour le vie) contre le fondu au noir (pour la mort)... De très simples dichotomies en vérité. Des opposition que tous le monde peut comprendre.
Ainsi, les multiples séquence "à la" (à la Tim Burton, à la Fellini, à la pirate des caraïbes) s'enchaîne tandis qu'un film plus sobre et rigoureux persiste à exister, relatant un drame à venir que rien ne peut arrêter.
Toutes les grosses ficelles y passent, donc: les personnages que Depp et Winslet incarnent discutent tandis que deux totems d'aigle, au fond de l'image et entre eux, se font face sur un même support. Une calèche sinistre part dans le fond tandis que nous l’apercevons au travers d'un lugubre banc vide. Et quand toute la famille connaît la joie, c'est sur le même sofa...
Voici donc le banc, dans cette image de fin, ultime objet à survivre aux personnages, au film lui-même, au récit. Mais que peut-il bien raconter?
Lorsque ma femme ma suggérer qu'on regarde le film ensemble, ce n'était pas sans qu'elle ne l'ai déjà vu au préalable et qu'elle voulu partager avec moi l'émotion toute relative que procure le film dans son accélération finale.
J'étais un peu fébrile et plutôt sarcastique, perdu devant un film qui me semblait dénué d'idée et de style, de projet tout court et cela accentua la déception que ma femme éprouva à l'égard du spectacle, ou plutôt du partage du spectacle de ce film. Car qu'est ce que la cinéphilie aujourd'hui, tandis que tout les films sont disponibles et leur vision corvéable à l'envie, que de partager l'expérience d'un film qui nous plaît, que nous connaissons déjà, avec quelqu'un qu'on aime, ou qui nous est chers, et qui lui n'a pas encore vu le film? C'est, en somme, la possibilité de redécouvrir un film à travers les yeux d'autrui. Et pour ce qui est de Neverland, les yeux que j'ai pu prêter à ma femme, ce soir-là, ont été les architecte d'une grande déception quand à ma réception du film.
Aussi, elle m'interrogea brièvement, ou plutôt me mit en garde aussitôt le générique de fin du film.
-" Mais à force de cherche comme, partout dans le film, dans les images, de décortiquer tout, tout le temps, tu n'as pas peur de passer à côté du simple plaisir de regarder un film? Tu n'aimes pas les films de Tim Burton par exemple."
Cette question, éternelle d'entre toute, je la trimballe avec moi comme un fardeau dès lors que j'ai décidé, il y a des années déjà, de m'intéresser au nom des réalisateurs, à la politique des auteurs, de faire discuter tout ça, silencieusement ou avec fracas, d'être finalement un cinéphile. Pas une seule discussion ne s'est déroulé, dans le commun des spectateurs, sans que ne soit mis à contribution cette sacro-sainte "pause cérébrale", ce "débranchement cognitif" réclamé avec force.
Alors, une bonne fois pour toute, je vais profiter de Neverland pour en parler.
Que se passe-t-il dans Neverland? Que raconte le film: pour faire court, le passage de la vie d'enfant à la vie d'adulte. Ou plutôt, de se comporter comme un enfant lorsqu'on est adulte et inversement, d'être confronter à des dilemmes d'adulte lorsqu'on est encore enfants.
Le cas Tim Burton en est exemplaire: prenons Batman pour illustrer. Lorsqu'il fait ce film, il fait un film sur une bande dessinée que, gamin, il a dû adorer. Il continue de vivre sa passion de gosse dans sa vie d'adulte. Quand t'es gamin, au début des années 90, Batman de Tim Burton te fais rêver. J'avais adoré ce film à l'époque. Mais quid d'aujourd'hui, quand t'as grandis et que tu réalise qu'il ne reste pas grand chose du film, si ce n'est son argument prétexte à te vendre des produits dérivés estampillés Batman. Plus aucunes parts de rêve ne demeurent sans être un peu ennuyé, voir carrément gêné par le ce mercantilisme, ce monde des adultes. J4ai pas perdu mon âme d'enfant: j'ai simplement cessé d'y croire.
C'est exactement la teneur du dialogue final de Neverland: il suffit d'y croire pour que cet imaginaire existe. Mais, tandis qu'à peine son argument débité, voilà que le personnage s’efface, comme une redite, comme si le film lui-même (Neverland) que l'on vient de voir était tout entier un imaginaire auquel il fallait croire (sans autre condition que la confiance en cette croyance "aveugle"), que rien de tout ça n'existe, que ce n'est que du cinéma et que, pourtant, dans nos tête et nos imaginaires, quelque chose à eu lieu?
En tant que cinéphile, je me suis construit une culture, forgée un opinion, j'ai élaboré une grille de lecteur, façonné mes propres outils intellectuels à partir de d'autres outils emprunté dans à partir de discussion ou de lecture, j'ai trouvé ma façon, bien à moi, d'aimer le cinéma, d'aimer les films, et lorsque je tombe devant un Cassavettes, devant un film d'Alain Resnais ou de Jean-Pierre Malville, un film de John Woo ou de Johnnie To, et même lorsque je regarde une série B faîte par un auteur aussi minime que Christopher Smith ou Adam Wingard, j'ai ce sentiment que le cinéma me le rend bien, que dans ce que j'y découvre sur létat de notre monde et l'image qu'il me renvoie de celui-ci, je continue de croire, d'espérer comme un enfant. C'est ma façon à moi de continuer à réver, avec la même intensité que devant le Batman de Tim Burton lorsque je le voyais pour la première au-début des années 90. Avec d'autres préoccupations, d'autres problèmes, d'autres façons de prendre son pied. C'est ma façon à moi, de continuer à croire que, quoi qu'il adviennent, le cinéma à son importance. Que le cinéma continue d'être important pour moi, au-delà de mes préoccupations journalières. Que le cinéma est essentiel, tandis qu'en face, il faut continuer de vivre, de subsister. Comme écrivait K.Dick au début des confessions d'un Barjot: le corps est composé à 99% d'eau. Non seulement, dans la vie, il faut éviter de se répandre et se maintenir entier mais en plus, il faut payer un loyer.
N'en déplaise à Marc Foster: si Neverland est un prétexte pour parler de magie du cinéma, nos soucis de la vie quotidienne, nos peurs et nos faiblesses, nos blessures et notre indifférences sont en revanche bien réel.


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le 29 sept. 2017

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