Œuvre mal aimée, injustement sous-estimée au sein de la dense filmographie de Martin Scorsese – à commencer par son auteur lui-même, New York New York n'en demeure pas moins une merveille de mise en scène, un prodige de mise en atmosphère dont les longues séquences mélodiques captivent nos sens en permanence. Déchirante histoire d'amour entre deux êtres dévorés par la musique, entre un cinéaste et sa passion pour l'univers du jazz, qui trouve une incarnation géographique parfaite à travers sa ville natale et de cœur, New York. Pérégrination tour à tour hypnotique, onirique, amère et mélancolique dans les méandres d'une métropole en perpétuel mouvement, animée par une rythmique incessante, New York New York se présente comme un sommet de fascination et d'émotion, pour peu qu'on s'abandonne à ses errances magnifiques.

L'intrigue démarre en 1945, dans l'euphorie d'une triste victoire face au Japon, sur une séquence hallucinante de 20 minutes où un saxophoniste déluré, Jimmy (Robert De Niro), va tenter, au beau milieu d'une fête endiablée, de séduire – en vain – une mystérieuse jeune femme aux yeux immenses, Francine (Liza Minnelli). Lui en chemise décontractée aux couleurs criardes, elle en stricte tenue militaire. Lui extraverti, elle plutôt réservée, réticente à ses avances. Première rencontre marquée par un fort désaccord. Mais face à l'insistance de Jimmy, Francine finit par céder. Une relation de plus en plus intime se noue entre eux, une relation qui n'échappera cependant jamais à la discordance originelle de leur rencontre. Jouée tel un thème dissonant, cacophonique, leur histoire amoureuse s'immisce, lancinante, entre les accords majeurs d'une quête de gloire musicale qui les dévore chacun de leur côté (lui rêve d'être le plus grand joueur de saxophone, elle rêve de devenir la plus grande chanteuse de Broadway et des studios hollywoodiens), qui finira par les séparer.

Bâti sur un imparable mouvement de crescendo, leur déchirement passionnel s'amplifie au gré de disputes et de conflits de plus en plus violents (insoutenable scène de bagarre entre les deux amants dans l'habitacle d'une voiture) jusqu'à une étourdissante et virtuose séquence où le film plonge dans une mise en abyme lourde de sens : Jimmy, installé dans une salle de cinéma, regarde le dernier film dont Francine est la star, un film musical contenant lui-même un spectacle dans lequel la jeune femme rêve de gloire et fera tout pour parvenir à ses fins. Hommage vibrant aux films de Vincente Minnelli, cette séquence visuellement somptueuse instaure une dernière barrière, insurmontable, celle de l'écran (hautement symbolique) entre les deux personnages. Jimmy reste le simple spectateur de la gloire de Francine, une gloire dont il sera à jamais exclu à cause de son propre ego. C'est là toute la morale amère du film, d'une tristesse infinie : deux artistes en quête d'une même grandeur ne pourront jamais s'accorder.

Cette tristesse s'insinue au fil des scènes, comme une note mineure mais obsédante, comme un contrepoint à la vigueur formidable se dégageant des morceaux musicaux, des séquences de concerts. Regards brisés de Francine. Colères tempétueuses de Jimmy. Douceur féminine estropiée face à une virilité destructrice. Éléments dissonants d'une mélodie commune du désespoir. C'est là toute la force de la mise en scène de Scorsese, forgée dans le choc heurté de deux sensibilités, dans la collision sublime de deux êtres que tout sépare, sauf la musique. La séquence quasi finale de la fameuse chanson New York New York, interprétée par Francine sous les yeux admiratifs de Jimmy, qui l'a composée pour elle, vient emblématiser toute la beauté tragique de leur relation, féconde sur le plan artistique mais infirme sur un plan sentimental. Francine n'est que la muse de Jimmy. Jimmy n'est qu'un modèle et un moteur d'inspiration pour Francine. Au royaume de l'Art, nulle place pour le cœur. Le cœur n'est qu'un motif, une image, une rengaine. S'achevant sur la plus amère, la plus triste des désillusions, New York New York nous chavire enfin par un dernier plan des plus désarmants, où Jimmy finit – peut-être inconsciemment – par se résigner à sa posture de simple personnage. Le personnage de sa propre chanson. « These vagabond shoes / They are longing to stray / Right through the very heart of it / New York, New York... »
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le 22 avr. 2014

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