Il ne suffit pas de collectionner les références à une œuvre pour bien l'adapter. En effet, à peu près tout le monde le lui accordera, Nicky Larson et le Parfum de Cupidon respire l'envie de bien faire et l'amour de l'œuvre originale. Et donc tout y passe : le marteau, les blagues de cul, les jeux de flingues, etc. Mais au milieu de ça, une chose manque cruellement : l'esprit.


Le film tombe en effet dans l'écueil classique des adaptations copiées-collées, celles qui veulent bien faire, mais qui n'en ont pas le talent. Je vais utiliser un exemple particulièrement édifiant pour bien me faire comprendre. Au début, Nicky se souvient de la nuit où le frère de Laura meurt. Il regarde la caméra d'un air profond, l'écran se brouille, le flash-back part. C'est une scène que n'aurait pas renié un pastiche type OSS 117. Et à partir de là, tout est dans la continuité : le frère qui sort sous la pluie, la main qui sort de la caisse d'une manière dramatique, le frère qui crève en disant le nom de son assassin, etc. Tout ressemble à une parodie, il est impossible de prendre cette scène au sérieux, alors qu'elle occupe tout de même la fonction de pivot dramatique et narratif. Alors qu'est-ce qui cloche ?


La raison tient dans une règle assez simple : quand on fait la même chose sur un support différent, quand on n'adapte pas les codes d'un medium à l'autre, paradoxalement, on se retrouve à faire quelque chose qui n'a rien à voir. La scène de la mort du frère de Laura aurait en effet pu être sensiblement la même dans City Hunter, l'animé - à quelques détails près tout de même, car la mise en scène de l'animé dans ces situations reste plus efficace, ce dernier sachant judicieusement jouer de son sound design et de son cadre pour mettre de l'emphase dramatique ; ce dont est incapable Lacheau. Mais surtout, et tout simplement, ce qui marche en animé ne marche pas forcément en live. Exemple plus marqué encore : le fameux appartement de Nicky reproduit à l'identique ; dans l'animé, il ressemble à un appartement de jeune citadin. Dans le film ? À un appartement de dessin animé. Dans l'animé, cet appartement ancre l'univers de l'œuvre dans la réalité. Dans le film, il l'en éloigne au contraire en évoquant la sitcom et la fiction. Pourtant, c'est le même.


La différence fondamentale d'interprétation entre ce qu'on peut voir dans un film et dans un dessin animé tient de la relation que ces deux media entretiennent avec la réalité. L'art pictural en général n'a pas le même rapport à l'exagération que l'art cinématographique : personne, par exemple, ne ressemble dans la réalité à M. Indestructible. Ses proportions ne sont pas humaines. Mais son design nous fait ressentir sa force et son inadéquation avec son environnement. Et on l'accepte, parce que c'est du dessin. Un film à l'inverse, est toujours sur la corde raide : même quand il use d'exagération, que les comportements des personnages sont incroyables, qu'il fait appel à des éléments fantastiques ou que la mise en scène se fait plus baroque, il est toujours nécessaire d'ancrer son image dans une forme de réalité, la contrebalancer en la faisant contraster avec l'humanité simple du personnage par exemple, ou de jouer à fond la carte du symbolique et d'atteindre le spectateur sur un plan encore plus personnel, philosophique - quelque chose de difficile à faire dans une comédie fondamentalement portée sur la démesure. Ce jeu d'équilibriste n'est pourtant pas nécessaire, ou pas autant, dans un animé, parce que le lien avec l'essence de l'image est beaucoup plus direct. Parce qu'on y est plus habitué aussi, tout simplement. Les réalisateurs les plus baroques arrivent parfois à se rapprocher du dessin animé, sans se rater - je pense à des Scorsese, des Lynch ou des De Palma. Mais c'est un exercice très compliqué, qui demande énormément de maîtrise - de l'art pictural justement.


Parce que l'art pictural n'a pas le même rapport à l'exagération que l'art cinématographique, il n'a donc pas non plus le même rapport au cliché. Ainsi, pour utiliser un cliché dans un film, il faut l'enrober, le maquiller, se l'approprier. Essayer de faire en sorte que le spectateur ne se dise pas "tiens, c'est un poncif de film, je vois les ficelles" mais plutôt "tiens, cet archétype m'évoque un sentiment personnel connu". Dans un animé, le cliché fera beaucoup plus directement le lien avec le spectateur. L'expression n'est pas la même. Le résultat non plus. Ergo le raté de la mort du frère de Laura, évocatrice en animé, ridicule dans le film.


Et la même logique s'applique finalement à l'humour du métrage ; car les délires grossiers de City Hunter, ses grandes vulgarités, plutôt drôles dans le lieu d'exagération par essence qu'est un animé, transforment le film en cirque permanent une fois retranscrits tels quels à l'écran. Circonstance aggravante dans le cas de City Hunter particulièrement, dont l'humour repose intégralement sur le décalage entre un homme à la fois surhumainement classe et complètement ridicule dans ses accès de perversité, et où la nécessité se fait encore plus prégnante d'entretenir ce décalage en ancrant les moments dramatiques dans la réalité. Dans la Cité de la peur par exemple, ce qui fait le comique d'une scène comme celle de l'interrogatoire, c'est le sérieux inébranlable du commissaire Bialès. Dans Nicky Larson et le Parfum de Cupidon, à cause de l'inadaptation des codes déjà évoquée, mais aussi du surjeu permanent des acteurs qui se font un tel kiff à adapter un animé d'enfance qu'ils badinent comme jamais gamin de 8 ans n'a badiné, ou encore à cause des décors en carton-pâte ou des costumes flashy, tout sonne faux. Il n'y a donc plus de décalage car il n'y a plus de réalité, juste une succession de vannes vidées de leur substance. À ce problème s'ajoutent les apports personnels de Lacheau, comme les blagues de ses deux compères de la bande à Fifi, ou la participation très française de Chantal Ladesou, qui quelles que soient les qualités qu'on peut leur trouver - jamais subtils certes mais parfois réussis, parfois très vulgaires ou complètement ratés (je pense à une vanne dont on voit venir la résolution à des kilomètres sur une tête décapitée à laquelle on fait du bouche-à-bouche) - n'ont pas grand-chose à voir avec le matériau de base et participent de cette saturation grand-guignolesque, détruisant un peu plus l'équilibre entre moments humoristiques et dramatiques et empêchant toujours plus de s'impliquer dans ces derniers.


Ainsi donc, en étant beaucoup trop proche de l'animé, en singeant sa forme sans réussir à en capter la substance, le film échoue finalement à bien l'adapter. En accumulant les citations inadéquates, il finit par mettre en scène une bande de gamins qui ne font que jouer à Nicky Larson. Une bande de gamins très bien costumés, ok : le cosplay est joliment fait. Mais il échoue complètement à saisir l'essence de City Hunter ; il en reproduit les situations sans en reproduire les sensations, et paradoxalement, alors que c'était la réalité qui perçait derrière le dessin animé, on ne voit plus que le dessin animé derrière les acteurs du film.


Pour ces raisons, et même s'il n'est pas dépourvu de qualités - certaines audaces formelles, certains gags font mouche -, Nicky Larson et le Parfum de Cupidon est un raté. En tant que film, d'abord, mais surtout, surtout en tant qu'adaptation.

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le 10 févr. 2019

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Arbuste

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