Nightcrawler est ce que l'on pourrait appeler un thriller chirurgical. Pas parce que l'on y dissèque gratuitement des gens, mais parce que de la Seconde 0 au générique final on sait en permanence où l'on va, on ne perd pas de vue l'objectif fixé et on attaque sec et fort en chemin. Une précision effarante, voilà ce qui ressort du long-métrage, où la mise en scène et le montage se font échos du personnage de Lou, comme si le film lui-même se déroulait au sein de son esprit tordu.

On pensera volontiers à Mann, Lumet ou Refn ou même Los Santos cuvée 2013 quitte à taper dans le virtuel, mais le long-métrage de Dan Gilroy a l'intelligence de se développer sa propre aura, sans jamais se risquer au terrible jeu des comparaisons. La Cité des Anges est une fois encore un terrain de jeu idéal pour ce genre de montagnes russes par sa 'crépuscularité' intrinsèque, attirante vue de loin, affreuse vue de près. Le cinéaste utilise judicieusement cet espace afin d'aérer son film et d'éviter un face-à-face claustrophobe avec l'adorable bouille d'ange psychopathe de Jake Gyllenhaal. Petit bonus particulièrement appréciable de nos jours, à aucun moment Nightcrawler ne semble vouloir se montrer plus que ce qu'il est. Partant du petit thriller gras et facile, percutant comme un coup de batte dans l'abdomen, on reste sur le crédo de A à Z en esquivant avec agilité les tentations de se boursouffler en polar prétentieux ou en brûlot complaisant. Une tentative d'intrigue secondaire avec Rene Russo ? Une charge à boulets rouges contre le penchant voyeuriste de notre société moderne ? Nope, juste une occasion de voir Gyllenhaal faire les pires saloperies à ceux qui ne se plient pas à son mode de raisonnement, se trouver une étrange fascination dans cette espèce d'immondice humaine nous servant de protagoniste, et imaginer le réalisateur nous toiser avec un regard complice et malsain : "Alors, tu kiffes, mon salaud ?"

La plus grande force du film réside bien évidemment dans ce personnage, Lou, polaire et fascinant, campé à la perfection, mais c'est aussi sa principale faiblesse quand tout semble construit autour de lui. Les personnages secondaires sont ainsi inexistants et ne servent que d'alibi, tandis que les rebondissements scénaristiques ne semblent attendre que l'accord de ce démon, rejeton diabolique d'une alliance contre-nature entre Patrick Bateman et Amy Dunne, pour se déclencher. Gilroy parvient à faire de cette faiblesse une force en resserrant l'intrigue au maximum sur le personnage, quitte à la transformer en véritable descente aux enfers ; à mesure que le métrage avance, les plans de coupe sur la ville se font de plus en plus rares, LA s'efface, Lou s'impose. Et cette fin volontairement évasive et cynique enfoncera avec brio le clou de ce dégueulasse, mais néanmoins attirant personnage. Tout cela fonctionne grâce à Gyllenhaal, bien évidemment, mais ce serait réducteur de limiter la réussite du film à ses épaules seules, tant derrière la caméra les jumeaux Gilroy se révèlent techniciens en diable, l'un à la mise en scène, l'autre au montage. Comme Lou, le métrage tourne grâce à un business plan bien carré, les différentes séquences ne brillent jamais par leur originalité mais fonctionnent grâce à des points de vue parfaitement maîtrisés et une construction précise et pugnace (notamment cette course-poursuite pourtant très simple en substance mais à l'efficacité implacable). Même le score de James Newton Howard est excellent, chose plutôt rare ces dernières années.

Nightcrawler est à la fois une excellente surprise et un affreux divertissement, dans le bon sens du terme, car le film sortant plus ou moins de nulle part, je ne m'attendais pas à passer un si bon moment devant, et toute la malice du long-métrage vient de cette capacité à nous faire culpabiliser ce plaisir, en nous posant comme voyeurs du voyeur. Tout paraît tellement plus vrai à la télé.

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le 30 nov. 2014

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HarmonySly

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