Par Jérôme Momcilovic

Il faut un moment pour pouvoir raccorder Night moves au convoi remarquablement cohérent formé par les précédents films de Kelly Reichardt. Les échos de sa présentation à Venise avaient prévenu : avec cette histoire d'attentat éco-terroriste dont la trame, de l'aveu de son auteur, s'inspire de la tradition du film de casse, Reichardt s'éloignait sensiblement des sentiers arpentés par Old Joy, Wendy & Lucy et La dernière piste – si bien qu'une partie de ses admirateurs en avait conçu une déception très injustifiée. En s'enfonçant sans délai au milieu du relief boisé de l'Oregon, Night Moves aborde pourtant un terrain d'emblée familier : cette cotonneuse et inquiète langueur de chaque plan, où se déposent le murmure serein des grands espaces et en même temps quelques personnages qui prennent vie doucement, jamais poussés par le scénario. Ils sont trois, réunis par un projet clandestin, dont la mise en place est fixée patiemment par le premier tiers du film. Le plan s'est forgé dans une froide colère politique, il requiert une extrême méticulosité, et vise un barrage monumental, Goliath de béton contre quoi s'élance un hors-bord d'occasion baptisé « Night moves », comme le film. Night moves, c'est aussi le protocole rigoureux auquel se tiendra la mise en scène : une suite de gestes filmés sans cérémonie dans une nuit intermittente – mais la nuit, en fait, est partout dans Night moves.

Ce qui surprend, en effet, c'est qu'avec cette opération dont Reichardt n'omet aucun détail, la mise du behaviorisme atmosphérique qui est la signature de tous ses films se voit réinvestie, contre toute attente, sur le terrain d'un pur cinéma de genre. Pas un plan ici (et ils sont, il faut le dire, presque tous parfaits) qui ne soit lesté d'une tension à couper au couteau. La longue scène nocturne où se déploie l'opération est un modèle de découpage minimaliste, dont l'efficace se loge autant dans une prodigieuse rigueur documentaire que dans sa capacité éblouissante à tordre les quelques éléments offerts par le décor (le clapotis lancinant à quoi se résume la bande sonore) vers un gouffre de terreur archaïque et purement spéculative. Quand on lui dit qu'on s'étonne, autant qu'on se réjouit, de voir son cinéma dériver vers ce genre d'efficacité, Reichardt donne un peu dans la minauderie d'auteur, expliquant ne suivre d'autre balise que celle d'une défiance d'artiste à l'endroit du cinéma commercial, et n'être pas capable de situer son geste sur la carte du genre – Night moves, c'est elle, c'est son style, voilà tout. C'est un peu agaçant, et en même temps, on ne peut pas lui donner vraiment tort. Car en effet, à bien y réfléchir, tout dans son cinéma la destinait naturellement à ce Night moves qui en affûte les principes. (...)

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Chro
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le 25 avr. 2014

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