La réalisatrice américaine Kelly Reichardt met en scène pour son quatrième film à sortir en France un thriller écologique doublé d’une dérive existentielle. Doublé ou, plus exactement, suivi tant Night Moves se scinde effectivement en deux parties : d’abord la préparation et l’exécution par un trio d’activistes d’une opération spectaculaire (l’explosion d’un barrage) et ensuite les états d’âme des trois jeunes gens en pleine paranoïa. Ceux qui suivent le travail de la cinéaste depuis ses débuts (Old Joy, Wendy et Lucy, La Dernière Piste ont marqué les esprits) reconnaitront sans peine son talent de paysagiste contemplative aux confins de l’élégie et de la poésie. Réellement indépendante dans son fonctionnement, elle a trouvé dans l’Oregon son territoire idéal. Faute de moyens conséquents, la réalisatrice qui collabore toujours avec le scénariste Jonathan Raymond sous l’égide de son confrère et producteur Todd Haynes (Loin du paradis) choisit un traitement minimal. Ainsi la destruction du barrage qui aurait dans n’importe quel autre film constitué son climax n’apparait pas à l’écran – seule le son de la déflagration atteint les oreilles des trois militants en train de fuir les lieux.

Cette approche inhabituelle qui tient davantage du sensoriel et du ressenti déconcerte parce qu’elle ne clarifie pas non plus complètement la démarche de son auteur. Il n’est ainsi pas établi que le geste politique, à la fois radical et puéril, passionne Kelly Reichardt, sans doute plus intéressée par l’évolution de personnages qui restent bizarrement flous et énigmatiques. Leurs motivations comme le lien qui les unit artificiellement dans leur projet demeurent aussi opaques. L’enjeu principal du film n’est certainement pas tant dans l’accomplissement de l’entreprise de destruction que dans les bouleversements qu’elle ne manque pas d’opérer dans l’esprit des trois activistes. Mais la réalisatrice peine sans doute à nous faire accéder à cette intériorité dont les symptômes passent plutôt par le comportement que par la parole (séparés après l’opération, les trois jeunes gens reprennent leurs activités).

En faisant la part belle aux scènes nocturnes, Night Moves distille une atmosphère d’oppression et de solitude. Comme si le geste accompli n’apportait aucune satisfaction, s’avérant stérile et inopérant, sorte de prétexte inconscient à bousculer une existence pour mieux la réinventer. Le désenchantement et la mélancolie qui traversent toute l’œuvre de Kelly Reichardt finissent par se communiquer au spectateur qui quitte la salle en demi-teintes : persuadé que la réalisatrice n’a pas galvaudé ses manières de faire, déçu par l’inaboutissement de l’ensemble qui le déséquilibre.
PatrickBraganti
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le 30 avr. 2014

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