Avant de voir la bande annonce de ce film, j’ignorais que Stephan Streker était réalisateur – en Belgique, il est aussi connu pour son rôle de consultant en football à la RTBF. Si le savoir réalisateur m’a, dans un premier temps, plutôt amusé, je reconnais avoir vite eu envie de voir le film ; autant pour comprendre sa visée artistique (Noces étant tout de même son troisième film), que parce que le sujet m’intéressait.


Librement inspiré de faits réels, le film nous conte l’histoire de Zahira Kazim (Lina El Harabi), une jeune belgo-pakistanaise tiraillée entre l’amour qu’elle porte à sa famille et son désir de liberté purement occidentale. Commençant le film avec un sérieux handicap (elle est enceinte et son copain ne veut entendre parler ni de mariage, ni d’enfant), Zahira va devoir se plier aux volontés traditionnelles de sa famille et accepter un mariage arrangé (même si – modernité oblige – elle a la « chance » de pouvoir choisir parmi trois prétendants via Skype). Désirant à tout prix échapper à ce monde qui l’étouffe, Zahira se réfugie dans la confidence auprès de son grand frère (Sébastien Houbani), sans prendre conscience des difficultés de ce dernier face à la situation. Des difficultés éprouvées par son frère, par sa meilleure amie (Aurore - Alice de Lencquesaing) qui n’arrive simplement pas à la comprendre, mais également de ses propres difficultés. Zahira sait ce qu’il se passe, elle est au courant des traditions pakistanaises, elle n’arrive juste pas à réaliser qu’elle en est le centre. Ainsi, comme l’actrice le dira elle-même à propos de ces traditions : « Mais, si on a beau savoir, on se dit que ça ne nous arrivera jamais. La complexité est là. Elle a cautionné ça jusque ses dix-huit ans, mais, quand ça lui arrive, elle se dit que c’est dur. »


La force principale de ce film ultra documenté est aussi sa non-stigmatisation. À aucun moment, Stephan Strekr ne se pose en donneur de leçon. Il ne prend le parti de personne, ne brandit aucune pancarte incitant à suivre tel ou tel chemin, il reste d’une objectivité réaliste, ne laissant la parole qu’à ses personnages, actants principaux de cette confrontation entre tradition et émancipation.
Palme spéciale à deux scènes du film.
Tout d’abord, celle entre Mansoor Kazim (Babak Karimi, également dans les trois derniers films d’Asghar Farhadi - maitre avéré de Stephan Streker, celui-ci l’a reconnu lors de l’avant-première à laquelle j’ai eu la chance d’assister) et André (l’ami belge de longue date, très justement interprété par Olivier Gourmet). Dans cette confrontation magistrale, on ne peut qu’assister impuissants à l’impossible réconciliation entre ces deux modes de pensée.
Vient ensuite la scène entre Zahira et sa sœur Hina (Aurora Marion) où celle-ci lui sert un monologue époustouflant sur la notion de justice. Sublimée par la présence et la beauté des deux actrices, cette scène ne peut laisser personne indifférent. On en sort à la fois bouleversé et convaincu (convaincu de quoi par contre…).


Ainsi, malgré le contexte politico-sociale plus que délicat sur la place des religions et des traditions dans notre société, Stefan Streker parvint à ne pas se bruler les ailes et laisse le spectateur seul maitre et juge de sa propre opinion au fil de cette intrigue touchante, prenante et angoissante à la fois.


Il serait criminel de terminer cette critique sans accorder un paragraphe à l’actrice principale, Lina El Arabi, dont c’est le premier grand rôle au cinéma.
Éblouissante est le mot qui lui convient le mieux. Elle traverse le film de bout en bout, lui donne une profondeur auquel il n’aurait pu prétendre sans elle, et livre une interprétation époustouflante.
Mais la force de Lina El Arabi est son regard. Celui-ci transcende ce jeu déjà parfait et plonge le spectateur (voire le noie) dans un océan d’amour et de mystère.

HadrienGhekiere
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le 23 mars 2017

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H Bazé

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