Au vu des récents événements ayant secoué la France, on était en droit de se demander si le nouveau film de Bertrand Bonello, auparavant intitulé « Paris est une fête » puisse réellement sortir sur nos écrans.


Écrit il y a plus de 5 ans, le film racontant l'histoire d'une bande de jeunes posant des bombes à divers endroits de Paris, ne se verra au final pas modifié, hormis le titre tiré d'un livre d'Hemingway qui est devenu un véritable symbole post-attentat. Nouveau titre donc, Nocturama, emprunté à un album de Nick Cave, et désignant dans un zoo la partie où l'on retrouve les animaux nocturnes.


Un titre qui peut également faire écho à Glamorama de l'auteur américain Bret Easton Ellis, qui lui aussi à fait de la jeunesse un de ses thèmes favoris, et qui dans ce livre racontait également l'histoire de terroristes dans la capitale française. Cependant selon Bonello, le livre d'Easton Ellis n'a pas servi d'inspiration, mais le livre l'a quand même profondément marqué et il comptait d'ailleurs en faire un film ( en le mélangeant avec Pétrole de Pasolini) au début du siècle, mais les attentats du 11 septembre ont changé la donne,


Après plus de 5 années de production, au cours desquelles Bonello nous a également offert un très beau « biopic » du couturier Yves Saint-Laurent, Nocturama débarque enfin dans nos salles.


Pour parler de ce film, on peut très clairement exprimer une dualité. Une dualité qui va être présent tout au long du film, et ce à plusieurs aspects. La première est la construction du récit. On peut effectivement très vite scindé le film en deux parties. La première consistant en la mise en place des bombes par le groupe de jeunes dans Paris.


Cette première partie adopte un rythme en mouvement constant, les personnages se croisent et ses recroisent, tout cela respectant un timing d'une précision d'horloger suisse, l'heure apparaissant à plusieurs moment sur l'écran. Cette partie peut d'ailleurs faire penser à des films comme Elephant de Van Sant ou de Clarke ( ce dernier qu'il a d'ailleurs fait visionner à toute l'équipe du film en amont) , avec ces longs déplacements et de nombreux tracking shots suivant les protagonistes dans le métro et les rues de Paris. Tout ces mouvements vont mettre en place une ambiance quasi-hypnotique. Ambiance accentué par la partition électronique composée par Bonello lui même au rythme lancinant.


Les motivations de ces personnages ne seront jamais clairement explicités, seule une phrase prononcé par le personnage d'Adèle Haenel pourrait résumer tout cela : « ça devait arriver ». Cependant même si l'action du film est en place dès les premières secondes du long-métrage, Bonello va insérer de nombreux flashbacks racontant la rencontre des divers protagonistes, qui forment par ailleurs un groupe très hétéroclite, allant de l'étudiant de sciences po aux jeunes du 93. Si le groupe est hétéroclite, il reste cependant tous animer par ce même désir de faire ce qu'ils ont à faire et dont ils ne peuvent échapper, même si certains émettent des doutes.


Après la mise en place et l'explosion des bombes, on entre alors dans une deuxième partie qui va prendre la forme d'un huis-clos. Les jeunes vont alors se retrancher dans un des plus grands magasins de Paris pour la nuit. On remarque là aussi une dualité au sein de ce qui se passe à l'intérieur du magasin et ce qui se passe à l'extérieur, si le début est un peu stressant pour les jeunes, ils vont très vite faire comme si ils vivaient dans un monde à eux. Ce magasin va donc devenir un endroit sans limite, où ils vont pouvoir se déguiser, manger à leur guise, chanter, mettre de la musique à fond, alors qu'au dehors le monde est entrain de tomber dans le chaos. Bonello arrive à jouer avec une certaine rupture de ton, avec des scènes donnant un aspect particulièrement comique au sein d'une ambiance plus oppressante, l'un des moments les plus frappants est la séquence de playback de Hamza Meziani sur My Way de Shirley Bassey.


Les personnalités vont là aussi se séparer, si certains restent convaincus tout du long de la pertinence de leurs actes, d'autres commencent à baliser et à prendre conscience de ce qui risque de leur arriver. L'ambiance peut parfois devenir anxiogène, notamment vers la fin. Un crescendo au cours duquel Bonello va à nouveau jouer sur cette rupture du ton, comme en témoigne les séquences avec la musique de Blondie ou le thème d'Amicalement Votre, où la nostalgie de l'enfance fusionne avec un réalisme d'une froideur exacerbée.


Il y a un autre point particulièrement fascinant dans la mise en scène de Bonello, c'est le rapport au temps. Comme dit avant, l'heure qui va revenir constamment au cours de tout le film, mais également au niveau du montage, où Bonello ne va pas hésiter à repasser certaines séquences du point de vue des différents personnages, pour amplifier l'impact de certains moments, ou pour donner cette vision globale de la part de tout les protagonistes. Sur la forme, il faut dire que Bonello frappe à nouveau un grand coup, son Saint-Laurent était déjà un film à l'esthétique très soignée. On retrouve clairement cela dans Nocturama, notamment grâce au magasin qui devient un terrain de jeu aux possibilités quasi-illimitées.


Pour finir, parlons du casting composé exclusivement de jeunes acteurs, ayant tous un rôle d'égal importance . Acteur étant pour la plupart inconnu pour moi, à l'exception de Finnegan Oldfield, déjà vu dans Bang Gang de Eva Husson en début d'année ( qui traitait aussi d'une jeunesse en révolte, cette fois au travers du sexe), et Vincent Rottiers vu dans Deephan. Le casting est très bon, et plusieurs sont de véritables révélations comme Hamza Neziami ou Jamil McCraven.


En conclusion, Nocturama est certainement l'un des grands crus de cette année 2016, et peut-être même le meilleur film français de l'année. Bonello nous offre une œuvre à la fois tragique, traitant d'un sujet délicat avec intelligence sans vouloir en faire des caisses. Une œuvre qui fera parler et qui confirme la maestria de son réalisateur, qui fait indéniablement partie des cinéastes français les plus intéressants.

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le 29 août 2016

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Bondmax

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