Mélange stylisé entre deux histoires de genres différents

Qui aurait pu imaginer une seule seconde qu’un styliste puisse devenir l’un des réalisateurs les plus en vue du cinéma indépendant américain ? Personne, cela va sans dire. Mais à force de voir des films improbables naître au fil des années, vous verrez que rien n’est impossible ! Le cinéaste en question s’appelle Tom Ford. Un homme incontournable du milieu de la mode, étant donné que celui-ci a renouvelé dans les années 90 l’image vieillotte de Gucci en une marque sexy, avant d’être le responsable créatif du prêt-à-porter Yves Saint Laurent courant 2000. Pour finalement se consacrer à des projets plus personnels, comme être à la tête d’une ligne de vêtements, parfums, maroquinerie et lunettes à son nom, ou encore se lancer dans le cinéma avec A Single Man. Une première expérience cinématographique ayant attiré bien des regards lors de ses diverses présentations à des festivals (dont la Mostra de Venise en 2009), qui lui a permis de poursuivre sur cette lancée avec une seconde réalisation, Nocturnal Animals, bien plus marquante que la précédente.


Et autant dire de suite qu’avec ce tout nouveau long-métrage, Tom Ford n’a pas fait dans la facilité, étant donné qu’il choisit une intrigue imbriquant trois récits différents. Celui d’une femme, une galeriste d’art de renommée, insatisfaite de sa vie, qui va lire le manuscrit de son ex mari. Un thriller intense dans lequel un homme tente de faire inculper le tueur de sa femme et de sa fille avec l’aide d’un shérif malade n’ayant plus rien à perdre. Une histoire qui va faire resurgir chez la galeriste sa romance passée et surtout certains démons qu’elle aurait préféré voir enterrés. Dit comme cela, Nocturnal Animals avait tout de l’œuvre difficile à narrer, qui pouvait faire perdre le fil au spectateur dans sa compréhension de l’ensemble : le fait que nous ayons deux histoires distinctes avec pour seul lien le père de famille du manuscrit, représentation fictive de l’ex mari (d’où la double interprétation de Jake Gyllenhaal). La première réussite du film a été donc de proposer un montage très fluide et savamment travaillé, qui se permet de switcher entre les divers récits sans jamais déboussoler le public.


Il faut dire aussi que Tom Ford mélange les genres avec une certaines aisance. D’une part, avec l’intrigue centrée sur la galeriste d’art ainsi que sur son passé amoureux (via des flashbacks), le réalisateur nous livre un drame romantique un chouïa classique sur le fond mais hautement personnel sur la forme. Le bonhomme usant de ses talents de designer de mode pour livrer une œuvre hautement stylisée, quoique perturbante et extravagante. Comme en témoigne la scène d’ouverture du film, un enchaînement de plans de femmes bien en chair nues juste pour accompagner le générique, le tout filmé au ralenti et sans tabou. Un parti pris et un style qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui a le mérite de montrer à quel point la beauté peut cacher des tourments et des souffrances. Et que la vie est loin d’être un conte de fées comme peuvent le faire croire la plupart des histoires (ATTENTION, SPOILERS !!) :


la galeriste regrettant au plus haut point ce qu’elle a fait subir à son ex mari jusqu'à vouloir le revoir et pourquoi pas recoller les morceaux, pour finalement se faire poser un lapin.


Comme si l’amour n’était qu’une fiction, un bonheur éphémère.


L’autre partie du film, celle racontée dans le manuscrit de l’ex mari, va en surprendre plus d’un. En effet, de la part d’un artiste aussi stylisé que Tom Ford, il était peu probable d’avoir un thriller percutant à souhait. C’est pourtant sous cette forme que se présente le dur récit de ce père de famille ayant perdu femme et enfant, kidnappées, violées et assassinées par des sadiques de passage. Loin du drame romantique, le cinéaste nous livre une partie de Nocturnal Animals diablement éprouvante et viscérale. De par la violence de son propos et le devenir du personnage principal, qui va jusqu’à plonger dans la justice personnelle. Ce rendu, nous le devons principalement à une somptueuse photographie, une ambiance tendue à souhait et un casting d’exception. Pour ce dernier, si Amy Adams et consorts s’en sortent avec les honneurs, c’est tout de même la partie « manuscrite » qui propose les meilleures interprétations de Jake Gyllenhaal, de Michael Shannon et surtout d’Aaron Taylor-Johnson (qui n’a jamais été aussi bon que dans ce film). Un thriller dramatique qui puise sa force dans l’horreur de son récit, sa mise en scène et le fait qu’elle représente le désarroi d’un homme (l’ex-mari de la galeriste) ayant voulu exprimé sa lourde déception amoureuse en se plongeant dans une histoire morbide de souffrance et de vengeance.


Avec son second long-métrage, le styliste Tom Ford confirme ses talents de réalisateurs en offrant au public une œuvre atypique pour le moins alléchante. Un très bon mélange de genres, mis en scène avec suffisamment de savoir-faire pour en faire un long-métrage incontournable de 2017. Si la partie drame romantique peut paraître convenue à certains moments et perturber si l’on n’adhère pas à son aspect stylisé, le thriller saura, lui, mettre tout le monde d’accord. Un exercice sur le papier ambitieux et casse-gueule réussit comme il se doit, à tel point qu’il nous tarde de découvrir le prochain projet de Tom Ford derrière une caméra !

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