Dès les 1ères images, le générique, c'est une plongée dans le grotesque et le magnifique, le désespoir et le ridicule, beauté perverse et cruauté tragique. Certains y voient la femme dévoilée sans ses artifices, j'y ai vu l'artiste, le créateur exhibant les moindres replis de son être, exposant son intimité hideuse et belle, provocant, au-delà de l'humiliation, il nous touche, nous intrigue, nous invite à son spectacle, sa danse perverse alors que nous savons déjà qu'elle s'achemine vers la tragédie inéluctable, l’œuvre mise à mort et exposée, chair offerte aux visiteurs de la galerie : ...je me donne en pâture à ceux qui me dévoreront et en mourront, empoisonnés...!
Je pense à Poe, souffrance et rage des créatures difformes, je pense à Lynch, au bestiaire de l'inconscient, je pense aux tableaux de Bacon, chair étripée sur une toile.
Il y a le livre qui fait irruption dans l'existence parfaite, lisse, opulente et stérile de cette femme qui va en devenir le centre, le pivot autour duquel vont s'articuler plusieurs réalités, passé, présent, fiction et réel dans un ballet lent et bien équilibré. Peut-être que là, le trait est un peu forcé, la démonstration un peu caricaturale, le manichéisme flagrant: d'une part la froideur de l'existence de cette femme qui s'ennuie, décors luxueux, monde des apparences sans âme, bribes de moments insipides, la réalité du jour: trop vaste, trop blanc, trop propre, trop lumineux comme son visage de statue, sa coiffure lisse, et la vie nocturne tellement plus vibrante et viscérale, la fiction, sauvage et violente cruellement distillée par le livre, fulgurante révélation d'elle-même qui la domine, la manipule et finalement la dépossède.
La réalité dans la réalité: comme elle, spectateur et voyeur dans ces scènes féroces, terribles sur le bord d'une route au Texas, magnifiquement réalisées, mais presque insoutenables tant elles nous confrontent à l'humiliation de l'impuissance, la terreur primitive face au pire des prédateurs, celui que nous croisons dans les rues, notre semblable qui en d'autres circonstances se révèle la plus effroyable des bêtes. Là, je pense à Wes Craven et la dernière maison sur la gauche tant ces scènes mettent mal à l'aise, violence sans complaisance, crue et implacable, plus psychologique que visuelle. La peur dans sa pureté cinglante, pris au piège, humilié par sa faiblesse(lâcheté?),je pressens déjà que les rôles sont interchangeables et que la(les) victime est tout autant l'implacable bourreau, tout étant affaire d'angle de vue et de circonstance. Je note quelques maladresse, mais quelle importance? C'est vrai, on aurait pu se passer de la vision du tableau: Revenge! Pas besoin d'enfoncer le clou! Il avait peur de ne pas être compris...mais oui, il en fait trop parfois. Pas grave puisque ça touche malgré tout!

Au cœur du chassé croisé des souvenirs, de la fiction et de la réalité, inondé par l'omniprésence envoûtante de la musique, on suit le déroulement du livre avec un profond malaise, c'est dérangeant, déstabilisant à la façon d'un miroir qui nous projette en pleine face un reflet sans complaisance. Edward, son livre nous manipule et nous entraine(avec Susan) dans les abimes de sa détresse: une chasse, capture et une mise à mort. Tout en exposant crûment sa terreur et sa souffrance, il nous piège avec lui jusqu'à ce que nous assistions impuissant à notre propre mort. Il est le bourreau et la victime, étant l'auteur de l’œuvre fictive, symbolique, tout comme la lectrice le devient confrontée à sa propre angoisse et sa sauvagerie soigneusement maquillée, il lui rend sa vraie nature et l'en dépossède violemment à la fin.
Le film bouleverse et dérange, beauté oui, mais accompagnée d'un malaise qui pousse à s'en détacher par moment, à prendre du recul. Le miroir qu'on nous oblige à regarder est un implacable juge. L'image du début le résume parfaitement. On peut être touché par ce film mais ce ne sera pas exempt de honte, comme un voyeurisme malsain.

boomba
9
Écrit par

Créée

le 2 sept. 2017

Critique lue 335 fois

5 j'aime

2 commentaires

boomba

Écrit par

Critique lue 335 fois

5
2

D'autres avis sur Nocturnal Animals

Nocturnal Animals
Velvetman
7

Lost Highway

L’écriture peut être une arme redoutable dans la construction machiavélique d’une vengeance. Il est vrai que le pouvoir de la plume a cette manie de faire resurgir en chacun de nous les pires...

le 14 janv. 2017

155 j'aime

9

Nocturnal Animals
mikeopuvty
4

Killing me softly with his book

Cher Edward, J'ai bien reçu ton bouquin de merde, et je l'ai lu en un rien de temps. Je suis restée sur le cul. 500 pages A4 pour raconter si peu, non mais c'est une blague ? T'as décrit tous les...

le 16 janv. 2017

93 j'aime

6

Nocturnal Animals
mymp
5

Ford discount

Vers le milieu du film, Susan, déambulant dans son immense galerie d’art, s’arrête soudain devant un tableau on ne peut plus flagrant : le mot revenge écrit en lettres blanches dégoulinantes sur fond...

Par

le 9 janv. 2017

90 j'aime

11

Du même critique

Altered Carbon
boomba
7

Thriller intemporel sur décor de SF

Je suis allée au bout de la saison 1: si j' m'étais arrêtée aux 3 ou 4 premiers épisodes, ma critique et ma note auraient été bien plus amères. Mais il faut lui reconnaitre ses qualités, c'est une...

le 6 févr. 2018

44 j'aime

14

American Gods
boomba
7

Orgie antique déjantée

Eh bien voilà: je suis arrivée à la fin de cette saison, affamée de dévorer la suite. Pourtant, au long des épisodes, mes sentiments ont été mitigés(et le restent, un enthousiasme brillantissime, une...

le 23 sept. 2017

27 j'aime

4

Blade Runner 2049
boomba
9

Ici, le cimetière des éléphants

Est-ce un hommage, un dernier hommage à tous les dieux et les géants engloutis par le nouveau millénaire et dont il ne subsiste que des fragments de mémoire vacillante sous des cloches de verre? 2049...

le 5 mars 2018

26 j'aime

4