Les chansons que mes frères m'ont apprises rendait compte d'une communauté toute entière en rupture sociale et surtout parquée, de part son origine indienne, ici on y retrouve l'idée avec un groupe de sans-abris, - ou comme il est cité de sans-maisons, pour marquer la liberté de choix que l'on imagine bien subjective-, s'appropriant un coin perdu des Badlands, en lutte contre le capitalisme roi.
De Rider et de sa peinture des traditions et de la volonté à lutter, il nous manquera des caractérisations plus puissantes, pour traiter du voyage par obligation et de la condition de ces femmes et de ces hommes, pour qui le rêve américain laisse un goût amère.
Si sa direction documentaire est toujours plaisante, Chloé Zhao, opte pour la dilution de ses enjeux, sociaux, voire politiques, au profit comme souvent de la recherche esthétique et poétique. On le remarque par une musique parfois envahissante ou de rencontres presque inutiles pour marquer une solidarité exacerbée.. Zhao tente de pointer la rudesse de la condition par des dialogues à l'économie et une ambiance dépressive, mais cette sobriété souligne également son absence d'émotion. Et comme ses deux précédents métrages, la réalisatrice travaille toujours ses longs plans contemplatifs et ses moments d'errements, où la solitude de Fern, au chômage et désormais sur les routes, vient répondre aux grands espaces isolés, aux teintes violacées d'un coucher de soleil et aux grandes étendues aérées, comme ultime réconfort. La beauté sauvage des lieux manque pourtant de souffle, les déambulations tant physiques que mentales de ses protagonistes n'auront pas le même impact, semblant nous présenter une version idyllique de la survie et de la prise de conscience. Un réveil à la dure réalité, à l'esclavage social, au temps qui passe et au refus d'une vie calibrée, plutôt subie encore une fois, pour Fern.
La volonté de surmonter son traumatisme trouve son pendant dans cette communauté mais le portrait de cette bande de joyeux miséreux, avec son maître à penser, ses envolées métaphysiques, où Il fait beau et où on fait du troc, vient maladroitement en porte-à-faux d'une vie de misère, de maladie et d'adversité, passée bien souvent sous silence.
Toute la profondeur du sujet, malheureusement, se résumera à un regard fantasmé de ceux qui sont contraints de quitter leur maison pour vivre dans leur camionnette.
Les emplois trouvés bien facilement et le peu de freins qui bloqueront son chemin, pour une ambiance presque festive, confèrent à l'errance une direction proche de l'escapade salvatrice et ensoleillée des vacances. Et choisir Amazon comme cible, n'aura certainement pas l'impact voulu pour dénoncer nos sociétés de consommation.
Choisir de brosser le portrait d'une femme qui a encore des soutiens familiaux, même s'il rejoint certainement la réalité de certains, où le voyage se résume à quelques allers retours et bivouac, on pense inévitablement aux vrais laissés-pour-compte, ceux qui sont définitivement pauvres et isolés, qui dans le film de Zhao ne feront que passer.