ATTENTION SPOILERS
Rémi Bezançon, c’est celui qui avait commis Le plus beau jour du reste de ta vie en 2008, excellente chronique d’une famille ordinaire. Bande-son au top, acteurs impeccables (les confirmés Jacques Gamblin et Zabou comme les débutants Pio Marmaï, Déborah François, Marc-André Grondin), montage d’enfer = film devenu culte qui a apporté un souffle nouveau au cinéma français.
Pour situer un peu, il a également réalisé Ma vie en l’air (avec Vincent Elbaz et Marion Cotillard) en 2005 et Un heureux événement (avec Louise Bourgoin et Pio Marmaï) en 2011, qualitativement plus inégaux mais tout de même attachants.
Dans Nos futurs, Yann (Pierre Rochefort) est un trentenaire (?) dans tout ce qu’il y a de plus angoissant: il est rentré dans les rangs. Il a un grand appartement type haussmanien, une jolie femme, un boulot qui rapporte sûrement gros mais terriblement chiant, où il côtoie des collègues ternes. Sa vie semble grise, toute tracée, et le pauvre semble à côté de ses pompes. Yann, c’est un petit garçon dans un corps d’adulte qui n’a pas compris ce qui lui était arrivé. La crise existentielle (classique) n’est plus très loin, on s’en doute. A l’occasion de son anniversaire, il renoue avec Thomas (Pio Marmaï), son meilleur ami d’antan. Tous les deux vont tenter de faire revivre les années lycée.
Bezançon est un cinéaste dont la principale obsession demeure le temps (d’ailleurs, il est amusant de noter que les âges et dates sont volontairement éludées tout au long du film). Dans Nos futurs, il entretient savamment la confusion: il est question de la mort et d’un deuil, que nous associons immédiatement à la figure du père. Il balaye les doutes du spectateur au sujet de Thomas, qui n’a pas évolué d’un iota depuis ses 18 ans, à grands coups d’humour et d’engueulades. On y croit parce que Pio Marmaï est irrésistible(ment drôle). Et puis aussi parce que c’est crédible: on a tous dans notre entourage un éternel ado, un type en stagnation qui refuse de grandir. Donc on gobe tout sans plus se poser de questions. Et là, Bezançon nous embarque dans un road-trip espiègle et délirant, où les deux potes de toujours retrouvent leurs anciens camarades de lycée, qui ont évolué avec plus ou moins de succès. Les amitiés masculines offrent, à mes yeux, davantage de poésie que n’en auront jamais les amitiés féminines. L’amitié entre deux hommes est empreinte d’une naïve simplicité, d’une évidence, de coups de gueule francs, de rires et de silences, d’un « à la vie, à la mort » tacite et d’une pudeur infinie.
Justement, « à la mort », c’est le twist final de ce film imprévisible. Thomas est mort. Depuis longtemps. Accident de moto. L’histoire qui nous a été contée n’était que le fruit des rêves de Yann, qui s’est endormi ivre dans un fauteuil (« à minuit » « …et demie« ) après sa soirée d’anniversaire. Alors on se refait le film à l’envers, et on comprend. On comprend le caractère réservé de Yann, son mutisme teinté de déni (il n’a pas d’amis et n’évoque jamais son passé à sa femme), ses difficultés à procréer, conséquences de son incapacité à faire le deuil, à dépasser la mort pour donner la vie. S’il y avait une scène à retenir, ce serait celle, vers la fin du film, où les deux compères s’endorment sur une plage dans leur campement improvisé. Yann se réveille, seul, et cherche son ami qui a disparu. Triste et poignante quête dont on comprend peu à peu qu’elle sera vaine.
Malgré toutes les incohérences et les scènes farfelues, le spectateur s’est fait berné. Pourtant, on voyait bien qu’il y avait des trucs qui ne collaient pas, bon sang. Mais on s’est laissés aller à y croire, nous aussi un peu dans le déni, tout à la joie qu’on était de retrouver ce vieux pote si familièrement sympathique, incapables de résister à un retour vers le futur délicieusement régressif et tendrement nostalgique.