Cette critique concerne la version avec des intertitres en français qui,contrairement à la VO,utilise les noms anglais d'origine des personnages,alors que le film,qui est allemand,proposait des patronymes germaniques censés contourner le fait qu'il s'agit d'une adaptation non autorisée du roman de l'irlandais Bram Stoker,ce qui n'empêchera pas l'oeuvre d'écoper d'une interdiction,finalement contournée elle aussi.Contrairement à ce qu'on pourrait penser,ce n'était pas la première fois que le livre était porté à l'écran,le hongrois Karoly Lajtay ayant proposé sa version l'année précédente.Ca commence à Brême en 1838,où Renfield,agent immobilier très bizarre au physique repoussant,envoie son jeune employé Jonathan Harker au fin fond de la Transylvanie pour qu'il y finalise la vente d'une maison située dans la ville allemande à un mystérieux aristocrate,le comte Nosferatu,qui se révèlera être un vampire qui viendra semer la peste et la désolation en Allemagne.Le film est réalisé par l'allemand Friedrich Wilhelm Murnau,un des géants du mouvement expressionniste,dont c'est l'oeuvre la plus célèbre avec "L'aurore" qu'il réalisera en 27.Le style du cinéaste fait merveille,et il n'a pas son pareil pour maîtriser les cadrages et le rythme,tandis que sa façon de faire interagir dans le cadre personnages et caméra est réellement impressionnante,les premiers se projetant vers la seconde assez violemment,ce qui donne une véritable puissance aux scènes.Certains plans sont de toute beauté et restent imprimés dans la mémoire,comme ces vues de paysages des Carpathes désolés où surgit soudain une sinistre diligence conduite par un inquiétant cocher,ou cette contre-plongée saisissante sur Nosferatu à l'avant du bateau,ou encore la sortie du corps droit et raide du vampire hors de son cercueil."Nosferatu" est clairement la matrice du film de vampires et plus généralement du cinéma d'horreur,et garde en dépit de son ancienneté une étonnante modernité.On peut noter également la qualité de la reconstitution d'époque,même s'il est vrai que la période relatée n'est pas si éloignée de celle de la fabrication du film.Un érotisme latent est présent de manière diffuse à travers l'obsession du monstre pour Mina,la fiancée d'Harker,dont il prendra possession en la vampirisant et la tuant,la jeune femme se sacrifiant volontairement afin d'éliminer le vampire et ainsi sauver la communauté,comme les vierges étaient autrefois offertes en sacrifice aux dieux mauvais et prédateurs."Nosferatu" est cependant daté,c'est une évidence,et souffre des scories liées au cinéma muet.Si la photo noir et blanc de Fritz Arno Wagner reste sublime et joue brillamment des ombres et des lumières,il faut avouer que les mouvements brusques et les grimaces outrées de comédiens très moyens laissent à désirer,tout comme certaines ellipses déroutantes qui peuvent cependant être dues à des morceaux de pellicule portés disparus au fil du temps.Il y a aussi quelques invraisemblances criantes qui interloquent.Pourquoi le comte ne tue-t-il pas Harker?Comment ce dernier le devance-t-il à Brême malgré un séjour à l'hôpital?Si le trajet par la route est tellement plus rapide que le voyage en bateau,pourquoi le vampire se déplace-t-il par la mer?Comment se fait-il que quand Nosferatu débarque à Brême,le port et la ville soient totalement déserts,ce qui lui permet de traverser toute la ville en traînant son cercueil avec lui?Les effets spéciaux paraissent quant à eux très rudimentaires vu d'aujourd'hui.On peut en outre déplorer le ton pompeux et désuet des textes des cartons explicatifs.La distribution,pas terrible dans l'ensemble,pâtit de l'inconsistance des deux jeunes premiers,Gustav von Wangenheim et Greta Schröder,qui jouent Jonathan et Mina,la fille étant de plus particulièrement moche,ce qui est gênant vu les réactions qu'elle suscite parmi la gent masculine.Par contre,les méchants,aux physiques spécialement répugnants,sont excellents.Alexander Granach campe un Renfield visqueux et cinglé à souhait,tandis que Max Schreck,dont ce sera le seul rôle notable,est un Nosferatu impérial qui ne sera jamais égalé,son apparence hideuse foutant vraiment la trouille.Des tas de redites de l'oeuvre viendront par la suite encombrer les couloirs de l'histoire du cinéma avec plus ou moins de réussite,Nosferatu reprenant son nom du roman,Dracula,mais le remake de 79 par Werner Herzog,très fidèle,sort du lot.C'est parlant,c'est en couleurs,mais surtout le scénario est plus solide et étayé et les acteurs jouent d'une manière plus naturelle et convaincante.