Sonia Kronlund, journaliste à France Culture, est une spécialiste de l’Afghanistan. L’interrogation qui est la sienne, en voix off du début de son documentaire porte sur les horreurs qu’elle relaie sur son histoire, martyrisée depuis 30 ans : aucune place ne semble faite pour le divertissement. Aussi, lorsqu’elle entend parler d’une star nationale, Salim Shaheen réalisateur de 110 films, elle décide de le suivre pour comprendre une facette de ce pays qui lui aurait échappé.
Débute une odyssée folle, sur les pas d’un personnage hors norme. Entouré de ses comédiens, le cinéaste tourne quatre films en même temps, serie Z totalement fauchées (d’où le titre : Nothingwood, c’est son cinéma, dénué de tout budget) avec pour seul carburant son énergie débordante.
Sonia suit, abandonne vite toute idée de contrôle pour suivre, entre champs de mine et zones interdites aux femmes, les pérégrinations de ce Don Quichotte du 7ème art.
Nothingwood, c’est le making of ultime, où l’on joue à Kalach réelle et l’on crache du sang de poulet, où l’on caste un âne de passage ou vole des images de la documentariste elle-même. Le film est hilarant, totalement jubilatoire, et rien ne résiste au charme culotté de Shaheen qui entraine à sa suite une communauté de fidèles, dont un comédien efféminé qu’on jurerait bon à la lapidation au vu de ses provocations. Les extraits qui viennent ponctuer le film sont tout aussi drôles, et affirment une foi dans le divertissement totalement salvatrice, à grands renfort de bastons, de chorégraphies et de chants.
Dans ce pays ravagé, Shaheen est évidemment l’exemple type de la résilience : parce qu’il brave les ruines et le danger armé de sa caméra, évidemment ; de la mort, il explique qu’elle est écrite par Dieu, et qu’elle arrivera donc sans son contrôle. Mais c’est surtout sa capacité à la mystification, en tant que cinéaste quant qu’homme public, qui explique son aura. Galvanisant la foule, exigeant des applaudissements constants, il fait de ses tournages eux-mêmes un show permanent. Sa mère est ainsi originaire de chaque ville qu’il traverse, il confond ses scenarii avec des morceaux (fictifs ?) de sa propre vie et fait des paysages (sublimes) comme des armes de son pays les accessoires de son usine à rêve.
Et, pour une fois, un film sur l’Afghanistan nous montre des foules éclatant de rire, des étoiles dans les yeux. Un cinéaste d’utilité publique, un documentaire à voir absolument.
(8.5/10)