Rien d'étonnant à ce que Notre Petite Soeur soit passé totalement inaperçu dans la sélection cannoise 2015. Le dixième film d'Hirokazu Kore-Eda, ni cynique, ni violent, ni engagé, ni esthétisant, apparait comme un intrus incompatible avec l'esprit de la Croisette. Et même si j'adore que le cinéma me foute des claques en pleine figure, c'est précisément tout ce qui fait de Notre Petite Soeur un très grand film. S'y plonger, c'est prendre le risque de goûter à un océan de douceur, de délicatesse et de beauté, pour ne plus jamais avoir envie d'en sortir.


La tendresse que manifeste Kore-Eda pour ses personnages, tout comme sa faculté à dénicher les drames intérieurs qui se jouent dans les histoires ordinaires, tend à le rapprocher du maître Ozu. Si l'on devait comparer les deux, je dirais néanmoins que Kore-Eda, que je découvre avec ce film, a l'air de faire preuve d'un peu moins de finesse dans la caractérisation des personnages (ici un peu trop typés) ou dans le dosage de l'émotion. Mais l'un comme l'autre savent créer une empathie miraculeuse pour leurs protagonistes.


Peu importe donc que les trois grandes soeurs semblent tout droit sorties d'une comédie française - la sérieuse, la coquette et l'enfantine. L'essentiel réside dans le regard que Kore-Eda porte sur elles et sur leur jeune demi-soeur, explorant la complexité des liens familiaux et leur importance dans l'épanouissement personnel. Bien que la mort, la culpabilité, le remords, la rancune et la mélancolie planent constamment sur le film en même temps que les non-dits qui rongent les relations entre les membres de la famille, ce sont avant tout des valeurs positives telles que la solidarité, le pardon, le souvenir, la gratitude et l'amour fraternel qui leur dament le pion.


Les actrices, absolument lumineuses, jouent aussi beaucoup dans la capacité du film à dépasser les archétypes. Même si elles ne sont pas traitées à parts égales (Chika semble moins intéresser Kore-Eda que les autres), impossible de ne pas leur adresser un gigantesque coup de coeur tant leur alchimie à l'écran procure un bonheur indescriptible, celui d'avoir partagé pendant deux heures les joies simples et les tourments secrets de cette inoubliable fratrie.

magyalmar
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films des années 2010, Les meilleurs films japonais, Les meilleurs films de 2015 et Blu-Ray-thèque / Films

Créée

le 19 mars 2017

Critique lue 326 fois

2 j'aime

magyalmar

Écrit par

Critique lue 326 fois

2

D'autres avis sur Notre petite sœur

Notre petite sœur
B_Jérémy
8

Le raffinement tout en délicatesse d'Hirokazu Kore-Eda

-Maman est une imbécile!!! J'aurais voulu passer plus de temps avec elle. -Si tu veux, tu peux me parler d'elle. -Moui... -Suzu, tu peux rester avec nous pour toujours. -Je veux rester...

le 23 févr. 2020

42 j'aime

13

Notre petite sœur
Christoblog
10

Magnifique.

Quel autre cinéaste qu'Hirokazu Kore-Eda est aujourd'hui capable de filmer la beauté du monde ? Depuis que Malick est parti en vrille dans sa trilogie émoliente, la réponse est claire :...

le 28 oct. 2015

31 j'aime

3

Notre petite sœur
Docteur_Jivago
9

Le Temps des Cerises

Notre Petite Sœur donne l'impression de voir Kore-Eda s'interroger sur l'état de notre monde, et surtout de l'humain, de l'individualisme ou encore des valeurs qui semblent se perdre, comme Ozu avec...

le 26 oct. 2017

30 j'aime

7

Du même critique

L'Argent
magyalmar
1

Compte dormant

Sans doute fatigué de pondre des drames chiants pour neurasthéniques masochistes, Robert Bresson s'est surpassé afin de nous offrir son ultime chef d'oeuvre, une parabole de science-fiction sous...

le 26 mars 2018

30 j'aime

3

Les Désaxés
magyalmar
5

Huston, le monde Huston

Honnêtement, je pense qu'Arthur Miller aurait pu broder une merveille de scénario en se contentant de la dernière scène dans le désert du Nevada, où tout est dit. Après tout, un bon exemple vaut...

le 2 avr. 2016

23 j'aime

2

Le Guerrier silencieux - Valhalla Rising
magyalmar
1

Alors c'est ça l'enfer

Refn est un sacré déconneur. Le défi de départ était excitant : écrire un scénario en 5 minutes. Malheureusement Nicolas dut se rendre à l'évidence. Ecrire plus de deux pages en 5 minutes c'est pas...

le 4 janv. 2014

20 j'aime

1