Après un documentaire, C’était mieux demain, et un court-métrage, And Romeo married Juliette, Hinde Boujemaa passe au format long fictionnel avec Noura rêve.


Nous suivons donc le quotidien de ladite Noura, femme élevant seule ses trois enfants. Entre le travail en laverie et la gestion du foyer, s’ajoute un mari incarcéré et un amant impatient.
L’autrice construit un triangle amoureux qui, au sein de la société tunisienne, revêt des enjeux bien plus dramatiques et dangereux qu’en Occident.
En effet, dans ce pays, l’adultère est passible d'emprisonnement. Cette loi change totalement le traitement de ce récit.
La nécessité de cacher cette relation parallèle n’est donc pas juste pour sauver les apparences, mais surtout, pour éviter des poursuites judiciaires.


Cet aspect est la pierre angulaire de l’œuvre. Il crée la dynamique de l’histoire. Il instille une tension permanente. Il met en exergue un dysfonctionnement où les rapports de force entre mari et femme sont inégaux.

En effet, obtenir un divorce est un véritable chemin de croix dès lors que la volonté émane de la mariée. Cette dernière se retrouve donc avec un individu non désiré comme partenaire et une vie sentimentale mis en suspend sous peine de répression.


On suit donc le fardeau que Noura doit porter chaque jour, les multiples tâches dont elle doit s’acquitter et les quelques instants qu’elle arrive à extraire pour penser à elle.
L’autrice nous présente cela de façon limpide. On ressent énormément d'empathie pour cette mère. La gestion de sa vie affective et familiale est poignante.


Cette matriarche se retrouve constamment entre deux feux.
D’un côté, le mari est un voyou incorrigible, au tempérament instable. Il est un être égoïste, fuyant les responsabilités parentales. Les confrontations donnent ainsi lieu à de profond malaise entre actes affectueux non-réciproques et accès de colère.
De l’autre côté, l'amant est un homme, de prime abord, doux et un soutien pour cette femme. Malheureusement, il a du mal à comprendre la complexité de la situation dans laquelle cette dernière se trouve.


La mise en scène participe à mettre en exergue l’intériorisation des douleurs de cette femme. Les plans fixes, loin d’être un choix de facilité, permettent d’observer l’évolution du comportement des différents protagonistes. La réalisatrice se repose ainsi sur la capacité des acteurs à faire véhiculer les émotions, les frustrations.
Un choix payant décuplant l’impact émotionnel des situations et l'empathie que l’on a pour ces personnages.
De même, lors d’instants très difficiles, l’utilisation du hors champs permet de garder une proximité sur l’action sans avoir à la traiter de façon frontale.


En somme, Hinde Boujemaa réussit à détourner un triangle amoureux, somme toute classique, pour le transformer en œuvre sociétale. Un tour de force réussi, qui a d’ailleurs remporté le Tanit d'Or lors de la 30éme édition des Journées Cinématographiques de Carthage.

tzamety
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le 14 nov. 2019

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