La fatalité est certainement l’un des éléments les plus récurrents dans les films noirs. Quand le destin a fait son choix, plus rien ne peut l’arrêter. Mais que se passe-t-il quand on cherche à le défier et à éviter l’inévitable ? C’est ce que fait le héros de Nous avons gagné ce soir, à ses risques et périls.


La boxe, un milieu de combattants, souvent anonymes, parfois connus, qui viennent en découdre sur le ring devant des spectateurs assoiffé de sensations et de violence. En cachette, certains font de cette discipline une source de revenus non négligeable, et parient en chaîne pour développer leur fortune. Stoker n’a pas eu une carrière brillante, mais, malgré son âge qui avance et qui le rend a priori incapable de lutter contre de jeunes loups, il a toujours le cœur et la volonté de vaincre, même si cela effraie Julie, sa femme, qui veut qu’il raccroche les gants. Dans son dos, son propre manager conclut un arrangement auprès de celui du futur adversaire de Stoker, pour le compte d’un ponte de la pègre. Après tout, le vieux briscard se fera rapidement plier par ce jeune prometteur. Sauf que rien ne va être simple pour personne.


Aux antipodes de l’ascension joyeuse et enthousiaste d’un Gentleman Jim, Nous avons gagné ce soir va s’intéresser à un combat, celui d’une vie, et aux sombres coulisses derrière son organisation. On découvre les vestiaires, en voyant tous ces boxeurs dans leur quotidien, échangeant et plaisantant entre eux, partant les uns après les autres au combat. Au fur et à mesure que chacun part, l’heure approche pour Stoker, faisait monter progressivement la pression. Le boxeur raté va-t-il encore échouer ? Ou, au contraire, va-t-il surprendre son monde et remporter la victoire ? C’est la question qui obsédera le plus le spectateur tout au long du film.


Car ce combat n’est pas qu’une simple histoire d’honneur. C’est aussi un destin partagé avec sa femme, qui ne peut se résoudre à le suivre dans cette discipline qui l’accapare. Nous avons gagné ce soir montre en même temps la séparation et la réunion, avec d’un côté la préparation au combat et, de l’autre, l’errance dans la ville, comme une porte de sortie pour Julie, mais la boxe n’est jamais loin pour lui rappeler la réalité. Ce film nous raconte la fuite et l’affrontement, plaçant les individus face à leur destin au cœur d’une société grouillante et sans pitié.


Toute la partie sur le match de boxe est d’ailleurs assez éloquente, à ce propos. Pendant le combat, la caméra filme à tour de rôle plusieurs personnages qui assistent au combat. Le gourmand qui enchaîne pop-corns et hamburgers, les parieurs invétérés, l’aveugle à qui on raconte le combat en direct, le spectateur distrait qui suit en même temps les résultats d’un match à la radio, les spectateurs et spectatrices qui crient sur les boxeurs pour les motiver ou les insulter… Dans cet immense stade, c’est un véritable tableau de la société qui se dessine, une société qui se range du côté des forts et rabat sa colère contre les faibles, et qui canalise ses pulsions à travers la vision de combats violents. Si Nous avons gagné ce soir prend son temps pour se mettre en place, il atteint un niveau d’intensité très élevé pendant le combat, filmé de manière dynamique, mais aussi en temps réel, sans ellipse, montrant un déluge de coups où chacun prend l’ascendant sur l’autre à tour de rôle. Avec ce montage incluant la réaction des spectateurs, le suspense est alors à son comble, et le film, dans cette frénésie, atteint une densité impressionnante.


S’il ne dure qu’une heure et quart, Nous avons gagné ce soir est un film au contenu très riche, propice à de nouveaux visionnages pour mieux cerner certains éléments qui auraient pu être oubliés ou négligés en première instance. Robert Wise propose un film à l’esthétique, aux plans et aux mouvements de caméra très élégants, comme ces plans-séquence permettant de planter le décor et de présenter les personnages, la scène dans la ruelle ou, bien sûr, celle dans un stade vide, une scène ô combien symbolique et puissante. Il convient de ne pas en dire trop pour laisser le spectateur apprécier un film qui mérite d’être découvert, à défaut d’être très connu. Nous avons gagné ce soir fait partie de ces films noirs à part, qui sortent des codes sans les trahir, gardant surtout à l’esprit leur finalité et leurs messages. Nous avons gagné ce soir… Mais qui a vraiment gagné ?


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 21 nov. 2020

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