Nymphomaniac – volume 1, le nouveau film du provocant génie Lars Von Trier est enfin sorti sur nos écrans après des mois de rumeurs et de campagne érotico-commerciale à son sujet. Malheureusement, le public devra se contenter de deux films de 2 heures chacun plutôt que de la version unique de 5h30 initialement voulue par le réalisateur danois. Il est toujours regrettable de voir une oeuvre dont le montage a été dicté par la loi du «final cut » d'un producteur plutôt que dans la version souhaitée par son créateur, mais prenons le film tel qu'il nous est présenté et forgeons- nous, spectateur, notre propre opinion sur ce nouvel ovni danois.
Lars Von Trier qui s'est fait connaître du grand public comme l'un des fondateurs du Dogme 95 (Les idiots en 1998) a su s'éloigner petit à petit des contraintes de ce mouvement pour imposer son style inventif et esthétique. Ses films ont souvent pour thème l'individu face au drame mais sont néanmoins tous différents (il s'essaye même à la comédie musicale avec Dancer in the Dark, palme d'or en 2000) et reflètent souvent l'état psychologique du réalisateur. L'on se souvient encore de l'horrifique Antichrist (2009) réaliser durant par un Lars Von Trier aux idées noires...
Mais quand est-il de Nymphomaniac ?
Dans ce film, nous suivons Joe, une quinquagénaire retrouvée inconsciente et salement amochée dans une ruelle par un vieux célibataire du nom de Seligman. Joe refuse d'être emmenée à l'hôpital mais accepte la tasse de thé que lui propose Seligman... allongée dans un petit lit, elle va alors se confier à cet homme et lui fait le récit de sa vie érotique, elle qui s'est auto-diagnostiquée nymphomane.
Le film de Lars Von trier est donc divisé en 8 chapitres qui brossent le parcours sexuel de Joe (magistralement interprété par Charlotte Gainsbourg). Chacun de ces épisodes est commenté à la fois par Joe, qui porte un regard très noir sur sa personne et par Seligman, qui tente de rationnaliser les actes et pensées de cette femme.
Soyons clair, le film n'est pas franchement joyeux et n'est certainement pas pour un public jeune (quel intérêt de sortir une version pudique interdite au moins de 12 ans lorsque l'on voit sur nos écrans des films bien moins bons mais beaucoup plus explicites ?).
La première séquence du film est baignée d'une ambiance sombre (le visage tuméfié de Joe et le groupe allemand Rammstein en fond sonore n'aidant pas) qui pourrait nous rappeler le très esthétique mais très choquant Antichrist où Charlotte Gainsbourg y interprétait déjà une femme instable. Pourtant, la suite de Nymphomaniac est nettement plus jouissive et drôle (oui drôle) que la bande annonce ne le laissait présager.
La construction en chapitres permet au film d'acquérir un dynamisme assez rare dans le cinéma actuel et qui permet au spectateur de supporter les scènes les plus dures parce qu'il sait pertinemment que dans peu de temps le film « sera passé à autre chose ». Sans rien perdre de son irréprochable sens de l'esthétique, Lars Von Trier pratique allègrement l'humour noir et les paraboles ironiques contrebalancés par la détresse du personnage de Joe.
A la manière des discours que Seligman tient à sa triste amie, Lars Von Trier semble lui aussi vouloir dédramatiser le sujet de son film. L'addiction sexuelle peut être drôle comme tragique et c'est avec ces deux sentiments qu'oscille constamment Nymphomaniac. L'histoire s'offre une mise en scène travaillée et audacieuse : jeux de surimpressions, montage vif...
Le casting du film est grandiose, le réalisateur comptant sur ses amis acteurs de toujours (Charlotte Gainsbourg, Willem Dafoe et Stellan Skarsgård entre autres) mais aussi sur de nouveaux visages venant pénétrer son monde : Uma Thurman (qui nous offre une prestation incroyable) ou encore Shia Lebeouf qui prouve une nouvelle fois qu'il a beaucoup à offrir au cinéma. Cette panoplie de stars va à l'encontre de la pensée simpliste des détracteurs du cinéma de Lars Von Trier uniquement capables de voir dans ces films du porno refoulé... Non, le film est beaucoup plus que ça et mérite d'être vu comme une œuvre à part entière et pas comme le délire d'une sado-masochiste refoulé.
Lars Von Trier n'a plus rien à prouver sur son talent et son audace, Nymphomaniac – volume 1 est à voir d'urgence car que l’on aime ou que l'on déteste le propos et la mise en image, il fait partie de ces films qui ne laissent pas indifférent.