I fucked my way up to the top
Mois de décembre, mois des bilans. C'est donc le moment de rattraper ce qui nous a échappé. Côté cinéma, quelques films désirés et pourtant manqués : le Woody Allen, le Tsui Hark, le Nadav Lapid et, surtout, le Lars von Trier. En prévision d'une décision existentielle fondamentale et douloureuse (le top 10 de 2014), je me décide à voir Nymphomaniac (vol.1) avec, je dois l'avouer, des sentiments complexes et contradictoires, dominés par une certaine anxiété. Bien sûr, celle-ci était importante, sinon j'aurai croisé le chemin du film bien avant. Et pourtant, j'étais prêt à beaucoup pardonner à LVT après Melancholia, j'avais même déjà passé l'éponge sur Antichrist, c'est dire... Oui, mais voilà, le film est un tel plantage qu'il est difficile d'y porter un regard indulgent ou d'y trouver une quelconque beauté. Et qu'il me fait sortir de ma torpeur senscritiquienne.
Il est fort ce Lars, tout de même!
Il faut une bonne dose d'intellectualisation forcée et de mauvaise foi pour tenter de justifier Nymphomaniac. Le film est mal écrit tant dans son déroulement narratif que dans ses dialogues souvent risibles. Tout sonne faux, rien n'est crédible et surtout pas le récit principal qui voit Charlotte Gainsbourg raconter son éducation et sa vie sexuelles à un inconnu, spécialiste en métaphores lourdingues (la pêche à la mouche en parallèle avec la recherche de partenaires sexuels, par exemple). Les multiples références littéraires, philosophiques, mathématiques (j'en oublie) masquent mal l'inconsistance du propos du réalisateur danois. L'ambiguïté du discours fréquent chez lui (les cloches de Breaking The Waves, la tuerie à la fin de Dogville, Les Idiots dans son ensemble) se résume à une enfilade de concepts qui ne débouchent ici sur rien, gonflant le film d'un discours prétentieux et abscons plutôt que d'enrichir ses thématiques.
Mais tout ça ne serait pas si grave (il ne s'agit ni d'un essai philosophique ni de littérature) si la mise en scène venait transcender, ou juste bousculer, cette succession de scènes souvent drôles malgré elles et de dialogues insipides. C'est après tout ce qui sauvait Antichrist. La puissance visuelle qui confère habituellement à chaque œuvre de LVT, y compris les plus faibles, un statut d'acte cinématographique digne d'intérêt est ici absente. Pourtant ça commence plutôt bien avec cette première séquence où l'on voit Charlotte Gainsbourg, évanouie et blessée au son du Führe Mich de Rammstein. Bien sûr ce n'est pas nouveau, Argento et Lynch (entre autres) sont déjà passés par là mais il faut reconnaître que cette opposition image/musique fait son effet. Et puis plus rien. En réalité, pas vraiment rien car Von Trier, en miroir avec le personnage joué par Stella Skargård, concentre ses effets de mise en scène autour d'inserts tantôt platement illustratifs (l'héroïne évoque un chat et, paf, on voit un chat à l'écran) tantôt lourdement métaphoriques (des portes automatiques pour évoquer le sexe frénétique de Joe). Et puis surtout, LVT se laisse aller à son plus gros défaut : son goût pour la provocation. Ainsi, les scènes de sexe sont explicites mais ça ne suffit pas au réalisateur : il en veut plus! Alors il s'attarde sur des détails un peu glauques : "Tiens! Et si Joe recrachait le sperme face caméra après une fellation? Ah, ouais, ça sera bien crade ça!!!". Il y a aussi "la séquence des pénis" où Von Trier pense que d'accumuler des images de sexe masculin en gros plan est vraiment gonflé! Waouh!!! On peut se dire qu'à l'ère d'Internet et de la banalisation du porno, notre bon vieux Lars a raté quelque chose. Et surtout, qu'il a passé l'âge de se comporter comme un ado attardé qui dessinerait des graffitis obscènes sur les murs des toilettes publiques... Mais bon, si ça lui fait plaisir... Ah, et pour finir, il y a ce fameux plan trop osé : le père de Joe vient de mourir. LVT film alors le visage du père au second plan entre les cuisses de sa fille où glisse une goutte de sécrétion vaginale. Ce plan est par ailleurs un copier-coller d'un plan de Kill Bill (peut-être Tarantino l'a t-il également emprunté?) à la fin de la séquence de la Bataille Rangée à la Villa Bleue, où l'on voit, entre les cuisses de la Mariée, une piscine de sang où baignent ses victimes. Pourquoi ça passe chez Tarantino et pas chez Lars von Trier? Une question de distance, d'humour probablement.
En évoquant Tarantino comment ne pas évoquer Uma Thurman! Pauvre, pauvre Uma qui hérite de la séquence la plus ridicule du film (Ms. H.), où Von Trier reproduit un schème qu'il a déjà beaucoup utilisé (l'hystérie d'un personnage face à la passivité de l'environnement) avec souvent plus de réussite. Enfin, il serait trop long et probablement hasardeux d'évoquer ici la misogynie (réelle ou supposée) de Lars von Trier mais il faut relever sa difficulté à penser et à représenter le sexe dans sa dimension joyeuse : il faut remonter aux premières séquences de Breaking the Waves pour que la sexualité ne soit pas illustrer dans une dimension mortifère ou oppressante comme ici.
Pour être intellectuellement honnête, il va maintenant falloir que je m'attaque au volume II, ce qui va nécessiter un minimum d'efforts car à l'instar de Joe à la fin de ce volume, je "ne ressens plus rien" et surtout pas l'envie de prendre acte de nouveau des errements d'un réalisateur qui m'a pourtant souvent donné beaucoup de plaisir.
P.S: Désolé pour les lecteurs qui auraient lu le brouillon, publié par erreur hier, de cette critique.