(Primo, ma critique du Volume I : http://www.senscritique.com/film/Nymphomaniac_Volume_1/critique/20371677)

J’avais commencé à écrire une critique sur cette deuxième moitié de Nymphomaniac, puis j’ai repris à zéro. Oui le distributeur n’aurait peut-être pas du laisser autant de semaines entre la sortie des deux volumes, oui il y a quelques métaphores un peu lourdes (ohé l’orgasme prépubère mystique), quelques digressions un peu faiblardes (ce que Charlotte Gainsbourg ne manque sarcastiquement pas de remarquer), oui le début du film manque de rythme et – ellipse ou pas - la transition d’une Joe à l’autre est un chouïa trop abrupte. Mais ce n’est pas ce dont j’ai envie de parler.
Pas du tout.

Là où la première partie de cette tumultueuse odyssée sexuelle s’achevait sur un cliffhanger brutal, la suite revêt crescendo l’apparence d’une fugue violente et inéluctable vers le chaos. Et la curieuse sensibilité des deux premières heures de laisser place aux démons d’une vertigineuse autodestruction.
Certes l’humour est toujours présent (mortdelol le canard silencieux) et Lars Von Trier filme encore plus ce qui lui passe par la tête - jusqu’à oser l’autoparodie de son prologue d’Antichrist (et avec du recul : good idea) - mais là où la nymphomanie n’était d’abord qu’une embêtante potentialité, elle se transforme ici en maladie réelle et nuisible capable de créer de véritables dommages collatéraux.

Ces trois derniers chapitres (aka suite de Fibonacci volume two, hey !) transfigurent la vénéneuse Joe d’ingénue licencieuse en paria quasi martyre, sainte diabolique à l’entrecuisse volcanique. Sa relation avec le docte Seligman (véritable Larousse vivant, sauf quand il s’agit d’histoires de 007) s’étoffe, se cristallise et – par moments – attendrit. Leur tête-à-tête fleuve brasse large : de la réhabilitation des pédophiles inactifs à l’utilisation du mot « nègre », il y a des fessées sanguinolentes (Jamie Bell loin des tutus de Billy Elliott), des clitoris esquintés, un troublant passage de relai saphique ou une chute dans le business délinquant. Et quand on voit Charlotte Gainsbourg se masturber frénétiquement sur une cuvette de toilettes ou se faire avaler le téton par une gosse à l’oreille difforme, une étrange et perturbante émotion s’installe : l’empathie. L’empathie envers une femme qui se déteste et qu’on se met bizarrement à (éventuellement) comprendre, une femme en proie à un démon inexplicable.

Et puis il y a cette scène miraculeuse, la plus poignante du film et peut-être même de tout le cinéma du bonhomme, celle où Joe fuit et trouve son arbre-âme, seul, tourmenté par le vent des sommets. Et cette fausse happy-end (j’ai déjà trop spoilé), où on se dit « ohhhh… », mais en fait…

Alors oui, les anti-Von Trier cracheront de gros mollards bien dégueulasses sur ce qu’ils estimeront n’être qu’un ramassis de vulgarité sordide (et « interminable »), mais ce serait une bêtise énorme que de passer à côté de ce film monstre (à l’image de son héroïne, et de son réalisateur) « sous prétexte que … ». Je l’avais sur le coup trouvé un cheveu plus faible que son prédécesseur, mais finalement, en perdant en humanité ce qu’il gagne en intensité, ce deuxième volume de Nymphomaniac s’avère d’autant plus marquant.

Féministe ( !!!) et mélancolique, Nymphomaniac – en tant qu’entité unique - est une œuvre immense et singulière, un des plus grands films de ces dernières années, et je suis heureux de le compter à présent très haut placé dans mon « top of the pops » (yo France 2). Je comprends qu’on puisse le rejeter violemment, no soucy les gars, mais là où on s’imaginait un récit pornographique, on se retrouve face à un immense film sur la solitude. Alors merci Lars, et hey Joe !
oswaldwittower
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le 2 févr. 2014

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oswaldwittower

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