Œil pour œil
6.2
Œil pour œil

Film de Meir Zarchi (1978)

Aaaah l'amour ! La prairie ! Le bon air !

L'amour, c'est le rouge aussi !
Le rouge.

" Et le rouge c’est la couleur de quoi ? Le rouge c’est la couleur du sang, le rouge c’est la couleur des indiens, c’est la couleur de la violence ! "

Je pensais n'avoir jamais vu ce type de films auparavant. Je ne pensais pas connaître les Rape & revenge movie. Ce n'est pas un genre en soi, pourquoi donc s'y intéresser ? Une catégorie qui rassemble un film de Bergman et ce "Oeil pour oeil" ne forme certainement pas un genre.

De ce fait, si les enjeux sont relativement les mêmes,
le ton et les couleurs des protagonistes diffèrent du tout au tout. Et pour cette raison, me rendant compte que j'ai déjà vu des films comme Irréversible ou La femme Scorpion, je ne pense pas bon de séparer les éléments d'un film.
Parce qu'à ce moment-là, nous pouvons recenser tous les films où un homme et une femme se rencontrent, chabadabada, et on les met ensemble, histoire de dire, finalement, il n'y a plus rien de nouveau dans le discours, tout a été fait.

C'est normal de demander toujours plus d'originalité. Mais quelle est la "foutue" (pardon mesdames) intention de ce film ? Ce n'est certainement pas l'originalité.
Faut pas tout mélanger. Chaque chose reste à sa place.
Il n'est donc pas très adapté, de ce point de vue que je défends, de questionner d'emblée à l'heure de la critique : "Est-ce que ce film sort des sentiers battus ?" La réponse sera forcément négative.

J'ai donc décidé de m'interroger sur l'intériorité de ce film.

Avant toute chose, il est tout de même intéressant de recenser les films Rape & revenge car on peut en tirer deux conclusions : c'est un sujet qui intéresse le cinéma depuis les années 60. C'est donc un sujet récent qui met en relief les opinions et les inquiétudes d'une époque. C'est un sujet qui va de pair avec l'émancipation de la femme et la montée progressive de la liberté sexuelle : la femme ne se fait plus violer sans dire un mot, maintenant elle est en passe de rendre les coups. En tous cas, l'histoire du cinéma a créé ce fantasme, celui de la possession et de la détermination de son propre corps affranchi des chaînes les plus patriarcales, les plus rétrogrades et les plus avilissantes. Vu d'ici, l'image d'Epinal rayonne de mille feux.

Je ne sais plus où mais j'ai eu vent d'un fait divers où une femme s'est faite violée trois fois, elle a voulu se venger et s'est re-faite violée une quatrième fois en voulant s'attaquer à l'un de ses agresseurs. Fantasme, disais-je.

C'est le but même du cinéma que de produire du fantasme. Oui, le Rape & revenge est un fantasme qui a forcément une portée politique car il repose sur l'évolution des moeurs dans le cadre de la domination masculine. Pour preuve, plus d'un tiers des Rape & revenge ont été distribué entre 1971 et 1978. "Oeil pour Oeil" signe donc la fin d'une lignée à la production intensive, la fin de l'âge d'or de sa catégorie et sa surenchère de violence a généré sur son compte des multiples censures, des interdictions de diffusions, bref un mystère qui attire forcément les curieux et les adeptes

Certain(e)s féministes pensent que la nudité à l'écran est une offense car elle réduit l'actrice à son corps et de ce fait elle est dépossédée de son talent, de son avenir. A la rigueur, elle ne sert qu'à confirmer ce que l'Eglise catholique (ou autres) a longtemps affirmé, à savoir que les acteurs n'étaient pas différents des travailleurs sexuels. La scène, le trottoir, c'est kif-kif. J'aurais tendance à penser la même chose. En plus, la nudité est un excellent marketing pour la démagogie et le profit. Dans "Oeil pour Oeil", on ne peut pas dire, par exemple, que Camille Keaton soit particulièrement repoussante. Elle suscite la convoitise.

Certain(e)s féministes pensent que le Rape & revenge (en tous cas les films qui font pas cas de la bienséance et qui montrent l'acte manifeste de viol et de non consentement) pousse les hommes au viol, à se le représenter ou à la banalisation du viol. Dans "Oeil pour Oeil", bien pervers celui qui pourrait trouver son plaisir dans l'esthétique du viol. Nous ne sommes pas dans le cadre d'une belle photographie avec une préparation. Non. Il y a les cris les plus déchirants jamais entendus, du sang, de la boue. Il y a des temps morts qui accentuent les séances de torture car systématiquement le personnage de Jennifer Hills tombe dans la gueule du loup - de sorte qu'on pense ce déroulement invraisemblable.

De l'invraisemblable commence à naître une double lecture possible. La répétition des actes, la barbarie sans retenue puis le retournement de situation au travers d'une vengeance expiatoire, venimeuse, rationnelle et froide font de l'héroïne Jennifer Hills une allégorie, un symbole par qui converge toutes les femmes. Ce personnage, par son invraisemblance, crée une sensation d'interchangeabilité : cela aurait pu arriver à n'importe qui, donc elle est n'importe qui.
C'est en ce sens, dans cette mesure que ce film propose une vision de combat pour toutes les femmes : parce que le Rape & revenge organise une violence légitime dont sont incapables les femmes. Il organise pour elles un fantasme salutaire tandis que, pour les hommes, cela permet non seulement d'expliquer et de se représenter les formes sexuelles de la domination masculine, ici la plus horrible (avec les mutilations). Cela leur permet également de dénoncer, à l'unisson avec les femmes, les viols.
La société patriarcale et capitaliste, aussi démocratique soit-elle, orchestre l'infériorité des femmes. Il n'est pas étonnant de faire le constat que, du fait des inégalités sociales et économiques creusées entre les sexes, les hommes se croient supérieurs aux femmes à un moment ou un autre de leur vie, aussi bons soient-ils.

Ce petit paragraphe dont vous pensez qu'il s'égare rejoint l'anecdote autour du film. C'est l'expérience du réalisateur Meir Zarchi qui vient s'ajouter à la nature du projet. On dit qu'il a recueilli chez lui une femme qui errait nue à New York. Elle venait de se faire violée par deux hommes. Peu importe si cela est vrai ou faux. L'important est de voir que la subjectivité de l'anecdote renforce le positionnement féministe, sa conviction dont il a pris soudainement conscience.
On peut toutefois nuancer le propos féministe du film en disant que c'est le projet d'un homme. Je veux dire par là que jamais une femme n'aurait eu le culot - si elle avait eu toute possibilité - de tourner un tel film. Et puis, c'est encore la vision d'un homme que de penser la vengeance, que de penser la force par cette loi du Talion. Ce n'est pas la vision la vision la plus judicieuse, la plus consciente mais si un film est capable de susciter un tel propos, alors oui, ce film est digne d'intérêt.

C'est donc cette double lecture qui va donner de la profondeur et va légitimer la lenteur du montage - tandis que certains, n'ayant qu'une lecture superficielle, trouveront que le film manque de densité. C'est encore cette lenteur qui tend à privilégier le jeu physique et intérieur ainsi que la prise de conscience de la situation (et encore cela va vite en besogne !). Dans une scène en particulier, j'ai pu sentir une réelle vision d'auteur. La lenteur permet cette double lecture consciente alors qu'un montage contemporain organiserait facilement un divertissement, une distraction par le biais du zapping des images et des situations (je n'ai pas vu le remake mais je ne serais pas surpris de la chose).

Je suis bien plus sceptique sur la qualité des plus récentes productions comme cette génération Torture porn movies que j'ai retrouve à dix euros en tête de gondole dans un grand magasin. Et ces snuff qu'on retrouve sur le net gratuitement ? "Oeil pour oeil" était déjà la surenchère pour son époque, aujourd'hui c'est le mal être plus que le propos qui est recherché et fait vendre.
Andy-Capet
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le 14 mars 2013

Modifiée

le 14 mars 2013

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